Ce numéro des Cahiers de lexicologie investigue le lien entre deux domaines qui ne sont en contradiction qu’à l’apparence, à savoir les domaines de la variation et le domaine de la phraséologie, dans leurs diverses déclinaisons.
Parmi les unités phraséologiques, l’ouvrage accorde une importance particulière aux parémies qui, pendant longtemps, ont été considérées comme étant peu touchées par la variation. Elles sont étudiées dans la plupart des contributions suivant des perspectives différentes.
J.-C. Anscombre procède à un éclaircissement des concepts de variation, de variante et de figement en parémiologie dans le cadre de la théorie des matrices lexicales, s’appuyant sur un corpus de phrases proverbiales en français et en espagnol (« Variantes, variation et figement en parémiologie », pp. 15-44).
L’analyse menée par B. Darbord (« De la variation, du mot au texte », pp. 95-111) sur les proverbes du Libro de buen amor de J. Ruiz met en relief la co-existence de trois types de variation dans la dimension textuelle : la variation paradigmatique, la variation longitudinale et la variation polyphonique.
S. Gómez-Jordana étudie les propriétés sémantiques de l’article zéro dans les proverbes, puisant ses exemples dans un corpus de sept cents proverbes français et sept cents proverbes espagnols. Traditionnellement considéré comme une preuve d’archaïsme, l’article zéro dans ces formes proverbiales serait en revanche, selon l’A., un indicateur de bimembrisme sémantique qui peut être schématisé sous la forme « P = Q » ou « P signifie Q » (« Les propriétés sémantiques de l’article zéro dans les proverbes français et espagnols », pp. 113-144).
J.-R. Klein revient lui aussi sur les concepts de variation et variante en parémiologie en s’inspirant des questionnements surgis lors du classement des proverbes dans la base de données DicAuPro (« Les apparences sont trompeuses ou Souvent X varie bien fol est qui s’y fie : réflexions sur les concepts “variation” et “variante” en parémiologie », pp. 145-171). Par le biais d’une approche génétique, l’A. montre que la variation des formes proverbiales se situe dans une dimension diachronique, alors que le concept de variante n’est pertinent que dans une dimension synchronique. De plus, il aborde la question de la distinction entre les variantes d’un proverbe et la synonymie entre proverbes différents.
À partir de l’observation de trois formes parémiques en espagnol américain et en espagnol péninsulaire, A. Oddo souligne l’importance de la prise en compte de la variation diatopique dans l’histoire des langues (« Peut-on établir la diachronie de la diatopie ? », pp. 197-216).
Les unités phraséologiques analysées dans les autres contributions appartiennent aux catégories des locutions, des collocations et des expressions idiomatiques.
La contribution d’A. Barrio García porte sur les locutions adverbiales espagnoles capaz que et de repente qui, dans certaines variétés de l’espagnol américain, fonctionnent actuellement comme des modalisateurs épistémiques exprimant des concepts comme le doute, l’hypothèse et la possibilité, tandis que cet emploi est inconnu de l’espagnol péninsulaire (« Changement linguistique et variation : étude de capaz que et de repente », pp. 45-69).
La variation diachronique des collocations et sa modélisation dans le cadre de la Lexicologie Explicative et Combinatoire fait l’objet de la contribution de X. Blanco, qui se veut une étude préliminaire sur les collocatifs en ancien français. L’A. focalise son attention sur les intensifs, les verbes supports et les verbes de réalisation, en utilisant des étiquettes sémantiques du français contemporain (« Remarques sur la variation diachronique des collocations », pp. 71-94).
La contribution de P. Mogorrón Huerta aborde la variabilité et les possibilités de variations des constructions verbales figées en espagnol péninsulaire et en espagnol américain en vue de leur traduction dans d’autres langues, dans le cadre de l’élaboration d’une base de données multilingue (« Création, variabilité, variantes phraséologiques et diatopiques », pp. 173-195).
S. Palma se focalise sur le rapport entre variation et défigement / détournement des expressions idiomatiques à des fins humoristiques. À partir d’exemples tirés du répertoire du groupe d’artistes Les Luthiers, l’A. constate un écart pragmatique entre l’expression idiomatique de départ et la forme détournée et conclut sur la possibilité de considérer les formes détournées comme des variantes (« Le défigement est-il une sorte de variation ? », pp. 217-232).
Pour finir, M.-S. Pausé et A. Polguère s’intéressent au processus de séparation phraséologique des locutions françaises ayant une structure V + complément. Ce processus de compositionnalisation sémantique a pour conséquence la mutation de ces locutions en collocations, et peut être expliqué par le phénomène de projection structurale (« Séparation phraséologique : quand les locutions s’éclatent », pp. 233-271).
Un hommage à M.-F. Mortureux clôt le volume (pp.273-276).
[Rosa CETRO]