Valérie BONNET, Béatrice FRACCHIOLLA et Lilian MATHIEU (éds), De la racine à l’extrémisme. Discours des radicalités politiques et sociales, ” Mots. Les langages du politique”, n° 123, juillet 2020, pp. 131.

di | 1 Luglio 2021


Le n°123 de Mots. Les langages du politique est consacré au dossier De la racine à l’extrémisme. Dans la préface, Discours des radicalités politiques et sociales (pp. 19-28), rédigée par Valérie BONNET, Béatrice FRACCHIOLLA, Lilian MATHIEU et Camille NOÛS, les auteurs soulignent l’intérêt à l’égard de la notion de « radicalité », qui est à la base de la définition des « radicalités ». L’origine des « radicalité(s) politique(s) » actuelles repose en effet sur le signifié de l’adjectif « radical/radicale », qui est mis à jour par rapport à la notion de racine ainsi que, à l’opposé, en termes de transformation radicale. Il s’ensuit que la définition de « discours radical » et de « discours des radicalités politiques » qui émerge de ce dossier est le résultat d’un discours tant de (dé)légitimation que de confrontation. Par le biais des trois contributions de la section thématique de ce numéro (pp. 19-78), il est possible de définir les discours de radicalités politiques à partir de leur catégorisation, du rapport à l’altérité, mais également des temporalités et des finalités de ces discours – la radicalité pouvant toucher tout type de cause par des logiques d’intersectionnalité. Une section Varia (pp. 79-121) composée de deux contributions complète ce numéro.

Le premier article, rédigé par Ève GIANNONCELLI, Des racines du socialisme à la politique chrétienne par la racine : l’union radicale conservatrice et ses limites (pp. 29-46), vise à apporter des éléments de réponse à la question du rôle central de la radicalité dans l’idéologie conservatrice contemporaine à partir d’une approche double de la radicalité. Celle-ci est basée, d’une part, sur la définition du réseau lexical qu’elle engendre et, d’autre part, sur la posture critique et politique dont elle est à l’origine. Le but de l’auteure est ainsi d’examiner le fonctionnement de la radicalité en tant que notion organisatrice du discours, production de discours et outil créant une généalogie conservatrice pour essayer de définir la figure de l’intellectuel conservateur en France à l’époque actuelle. Pour ce faire, GIANNONCELLI s’appuie sur les stratégies rhétoriques utilisées par deux penseurs représentant deux générations conservatrices différentes et deux positionnements apparemment éloignés. Il s’agit de Jean-Claude Michéa, figure politique d’envergure dans les milieux conservateurs, qui s’identifie par un retour aux racines du socialisme, et de Gaultier Bès, représentant d’une nouvelle génération d’intellectuels de la droite radicale, réunis autour de la Manif pour tous et visant à définir une politique chrétienne par la racine. L’analyse d’un corpus d’extraits tirés d’ouvrages rédigés par les deux penseurs examinés, en vue de mettre en évidence leur conception de la radicalité, permet à l’auteure de tester son hypothèse sur l’union radicale du conservatisme contemporain et d’identifier ses limites. Si, d’après Jean-Claude Michéa, la radicalité consiste en une critique radicale vis-à-vis de la radicalité du capitalisme via une déradicalisation de la gauche par déracinement, là où la radicalité et l’enracinement sont formalisés dans une association entre socialisme, tradition et conservatisme qui aboutit à une rhétorique binaire et agonistique, et à une légitimation du conservatisme, le conservatisme de Gaultier Bès est caractérisé par un retour à la racine. En particulier, c’est une « politique par la racine » qui est poursuivie par cet intellectuel et par la génération qu’il inspire, qui s’inscrit dans une réévaluation de la radicalité associée à un retour à la foi (chrétienne) – en cela tirant profit, de manière stratégique, de la réflexion de Simone Weil – autour du groupe de la Manif pour tous par opposition au Mariage pour tous. C’est donc une reconfiguration de la pensée de Simone Weil qui est proposée par les animateurs de ce groupe à travers un réenracinement caractérisé par un retour à la norme dans la tradition et à la foi. Dans ses remarques conclusives, l’auteure met en évidence des filiations théoriques aussi bien affichées que dissimulées entre ces deux intellectuels – s’identifiant, selon elle, dans la Nouvelle Droite, notamment Alain de Benoist – qui prônent la fidélité au passé pour envisager l’avenir en passant par l’exigence d’établir des frontières.

L’altérité dans le contexte politique argentin contemporain, en particulier des formules nominales d’adresse utilisées comme outils langagiers de lutte politique, fait l’objet de la deuxième contribution, rédigée par Maria Gabriela DASCALAKIS-LABREZE (Nommer l’altérité politique argentine, pp. 47-62). Au sein d’une société divisée et marquée par des discours politiques opposés, l’analyse de l’auteure présente les positions du kirchnérisme (autour des anciens présidents Néstor Kirchner et Cristina Fernández de Kirchner) et de l’anti-kirchnérisme (incarné par le macrisme de l’ancien président Mauricio Macri) caractérisant le scénario politique argentin débutant par l’élection de N. Kirchner en 2003 et se poursuivant par des conflits politiques dont les retombées sont, entre autres, des crises économiques du pays. C’est autour des formules nominales « Cristina yegua » et « Macri gato » – « Cristina jument » et « Macri chat », en français – dont est tracée la généalogie, qu’est organisée l’étude de DASCALAKIS-LABREZE à partir de leurs occurrences dans Facebook et Twitter, et dans un corpus tiré de la presse nationale argentine en ligne – quotidiens Clarín et Página 12 – mais aussi dans les pages officielles de C. Kirchner et M. Macri sur Facebook. Formes nominales d’adresse liées à des contextes de contestation et d’interpellation directe des deux chefs d’État, Cristina yegua et Macri gato ne sont en fait pas, d’après l’analyse de DASCALAKIS-LABREZE, des formules fréquentes dans la presse et sur internet. La première est peu utilisée en tant qu’insulte en raison de l’adhésion à la figure politique de C. Kirchner et de la condamnation sociale d’expressions renvoyant aux discriminations de genre, alors que la seconde s’impose pour indiquer tout contexte opposé au premier, comme formule « fourre-tout » (p. 59). Ces deux injures politiques s’inscrivent ainsi, d’après l’auteure, dans un contexte politique binaire traditionnel tout comme dans l’intention de remettre en question les archétypes culturels de genre, mais elles visent aussi à retourner le « vote populaire qui a placé la « jument » aux côtés du nouveau président, reléguant le « chat » à un second plan peut-être momentané » (p. 60). Il émerge donc que ces formules finissent par être réutilisées dans un sens différent de celui qui était voulu par leurs créateurs.

La troisième contribution, rédigée par Matthijs GARDENIER et Angeliki MONNIER, revient sur le contexte français pour une analyse des stratégies de communication des groupes « vigilantistes » anti-migrants « Sauvons Calais » et « Calaisiens en colère » (Atténuer la radicalité : stratégies de communication de groupes vigilantistes anti-migrants, pp. 63-78). Ces collectifs, qui se caractérisent par des appels à la violence, cherchent cependant à donner une image atténuée pour éviter toute sanction ainsi que l’arrêt de leur propagande en ligne : c’est autour de l’existence d’une posture à visée énonciative mobilisant l’ethos, le logos et le pathos au sein des contenus de la page Facebook des deux groupes et d’interviews de leurs membres sur la période mars 2015-novembre 2016 qu’est focalisée l’attention des deux auteurs en vue d’examiner la violence qui est affichée par ces deux groupes. Si la première partie de l’article se concentre sur la notion de « vigilantisme » et sur son rapport avec la violence et la radicalité dans le discours sociopolitique actuel, notamment à propos de la gestion des questions migratoires, l’analyse se poursuit par une présentation de Sauvons Calais et Calaisiens en colère, dont la « crise des migrants » de l’été 2015 et les actions entreprises depuis 2013 à Calais pour contraster l’occupation des squats par les migrants sont le dénominateur commun. Les deux collectifs partagent également un rapport ambigu à la violence, qui est caractérisé, selon GARDENIER et MONNIER, par trois volets – reposant sur les trois piliers de la rhétorique classique – qui montrent la stratégie de communication des deux groupes, dont le but est la construction d’une posture à visée persuasive. Le premier volet relève de la préservation de l’ethos par une négation de la violence ou au moins de la responsabilité de celle-ci – elle est attribuée à des personnes extérieures ; le deuxième porte sur une sollicitation du logos pour censurer les propos tout en appelant les internautes à une modération sur les réseaux sociaux – afin d’être « suffisamment provocants pour servir d’exutoire, ne l’étant cependant pas assez pour susciter des poursuites ou une fermeture de la page Facebook » (p. 73). Enfin, le troisième volet consiste à amortir le pathos par le recours au registre humoristique, mais dont les commentaires sont macabres ou de mauvais goût – les exemples présentés par les auteurs, empruntés à la publicité et à des publications ad hoc, aboutissent même à l’imagerie répandue par le parti nazi allemand autour de l’« identité raciale ». Il s’ensuit que la présentation que ces groupes donnent des migrants présents à Calais fait percevoir ceux-ci comme un danger pour la population locale, pour la sécurité, pour le maintien des valeurs sociales et culturelles. La radicalité socialement construite par ces deux groupes visant des objectifs spécifiques devient, quant à elle, selon GARDENIER et MONNIER, un objet de négociation.

Les deux contributions relevant de la section Varia partagent l’analyse de discours médiatiques à visée politique.
Dans le premier article, Pratiques de médiation informationnelle sur Facebook : l’appropriation politique de la presse quotidienne régionale lors de la campagne présidentielle de 2017 (pp. 81-102), Franck BOUSQUET, Julien FIGEAC, Guillaume CABANAC et Camille NOÛS examinent la mutation des pratiques informationnelles depuis le début des années 2000 et leur effet sur la presse d’information générale suite à l’apparition d’« infomédiaires » par rapport aux médias locaux et régionaux. Leur objectif est d’étudier les usages, les contenus, la circulation et le commentaire des informations produits par la presse locale au sein des réseaux socionumériques, notamment les pages Facebook nationales et régionales (octobre 2016-mai 2017) des cinq principaux partis et mouvements politiques de la campagne présidentielle de 2017 en France (le Front national (FN), La France insoumise, Les Républicains, le Parti Socialiste et La République en marche. Cette analyse, qui souligne les différences constatées dans l’usage de la presse locale et régionale auprès de ces communautés politiques, part de l’hypothèse d’après laquelle la singularité des informations locales – notamment les faits divers – est surtout liée aux préoccupations politiques de certains mouvements et à leur ancrage territorial. A l’appui de la méthode Reinert (1990) complétée par le logiciel Iramuteq, les contenus lexicaux et textuels des publications montrent que la presse quotidienne régionale est surreprésentée dans les pratiques de médiation informationnelle du FN surtout par le biais des faits divers. Plus largement, les résultats de BOUSQUET, FIGEAC, CABANAC et NOÛS soulignent que la cohérence éditoriale des titres de presse quotidienne régionale tend à être effectuée par les « infomédiaires » : le rôle de la presse quotidienne régionale est par conséquent de plus en plus limité à la seule collecte et diffusion de l’information de proximité.
Le second article, qui clôt ce numéro, a pour titre YouTube comme média politique : les différences de contenu entre interviews politiques classiques et émissions en ligne de trois représentants de La France insoumise (pp. 103-121). Antoine BRISTIELLE examine le rôle grandissant de la plateforme YouTube dans le fonctionnement et dans la communication du parti politique français La France insoumise et de son leader Jean-Luc Mélenchon. Par le biais d’une analyse qualitative et quantitative relevant d’un corpus d’interviews en ligne diffusées via YouTube et d’interviews politiques « traditionnelles » de Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin – journaliste et metteur en scène – et Adrien Quatennens – jeune député du mouvement – collectées début 2018, l’auteur montre que la communication politique en ligne diffusées par les interviews des trois représentants de La France insoumise sur YouTube s’avère être plus efficace en termes de développement du sujet qui y est abordé, d’enjeux politiques et de registre plus individualisé par rapport aux interviews classiques. Quant à l’emploi de la plateforme YouTube par La France insoumise, BRISTIELLE met en avant que cet emploi est stratégique pour ce parti populiste, qui peut ainsi amplifier une communication visant à la proximité avec la population.

On rappelle que le n° 123 de Mots. Les langages du politique s’ouvre par l’éditorial Sciences en danger, revues en lutte (pp. 7-15), rédigé par le « Collectif des revues en lutte », auquel Mots a adhéré, relatif à la mobilisation contre les réformes des retraites et des services publics menées par le gouvernement français. Ce collectif, qui commence son action en janvier 2020, vise à souligner la position collective d’opposition à ces réformes ainsi qu’au projet de LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche) de la part des revues académiques qui y participent – dont le recensement est disponible sur le site universiteouverte.org.

[Alida M. SILLETTI]

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