Depuis 2012, le Dipartimento di Lettere e Filosofia de l’Université de Trente s’intéresse au processus de médiation, notamment à la médiation culturelle.
Comme le rappellent les directeurs de l’ouvrage, Jean-Paul DUFIET et Elisa RAVAZZOLO, dans leur Introduction (pp. 7-18), l’engouement scientifique, social et institutionnel pour le terme multidimensionnel de « médiation » a besoin d’adjectifs qualificatifs pour séparer des pratiques qui pourtant « participent de la même dynamique et partagent souvent les mêmes objectifs dans l’ordre de la promotion de l’intégration sociale, de l’appropriation culturelle et de l’intercompréhension » (p. 8). De façon complémentaire aux études promues par le Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali de l’Université de Padoue depuis 2010 et aux études réunies dans le numéro 26 de la revue MediAzioni citées dans la bibliographie de l’Introduction, l’ouvrage de l’Université de Trente apporte des éléments de description et de réflexion sur la relation entre les acteurs des pratiques de médiation culturelle et sociale, leurs finalités et les langues concernées.
Les directeurs de l’ouvrage ont organisé l’ensemble des contributions en deux parties.
La première partie intitulée « Médiation linguistique, interprétation et dialogue interculturel » se concentre sur le processus de médiation en tant que lien assuré par un tiers-garant d’une communication interlinguistique et interculturelle à des fins juridique et médicale.
La deuxième partie intitulée « Médiation culturelle, appropriation des patrimoines et apprentissage du français » aborde en revanche la médiation culturelle d’objets et de productions artistiques tout comme de récits autobiographiques en vue de l’appropriation d’un patrimoine culturel et de l’apprentissage d’une langue.
I partie – « Médiation linguistique, interprétation et dialogue interculturel »
La réflexion d’Elio BALLARDINI (Dimension culturelle des espaces judiciaires et interprétation, pp. 21-38) porte sur l’accès linguistique à un procès pénal par des allophones. Plus précisément, la contribution essaie de dessiner la relation entre l’interprète s’occupant de la médiation linguistique et l’« espace judiciaire, ce dernier étant compris comme l’expression d’une certaine idée de la justice et, plus en général, d’une culture. » (p. 22)
En début de contribution, la revue de la littérature scientifique transdisciplinaire s’attarde essentiellement sur quatre aspects :
- la centralité de l’oralité dans le cadre du procès ;
- la polyphonie énonciative du genre discursif « procès pénal » ;
- les marques prosodiques de maîtrise rhétorique et culturelle propres à l’espace judiciaire ;
- la difficulté de l’interprétation interlinguistique et interculturelle dans cet espace temporaire, caractérisé par l’asymétrie symbolique de ses acteurs et de ses pratiques telles que construites et consolidées au fur et à mesure des siècles.
En s’appuyant sur une métaphore théâtrale, l’A. insiste ensuite sur la capacité de l’interprète dans un procès pénal de savoir comprendre « la scène où tel ou tel acte, au sens juridique, a lieu, ainsi que les règles qui gouvernent les acteurs qui évoluent sur scène » (p. 29). À ce propos, l’exemple de la salle d’audience est décortiqué à l’aide d’autres études et chroniques disponibles. La description de la gestion de l’espace de la salle et la position des acteurs concernés est détaillée, la proximité spatiale dont souvent dispose l’interprète vis-à-vis de l’allophone étant mise en avant. Le cérémonial de l’accès à la parole est également décrit, tout comme la possibilité qu’un avocat s’exprime à la première personne au lieu de son client. Comme le fait constater l’A., cette prise de parole à la place d’autrui « peut dérouter également un interprète, s’il ne sait pas à quoi s’en tenir en matière d’emploi de la première, deuxième ou troisième personne grammaticale quand il traduit les propos des interlocuteurs : […] une problématique aux enjeux sociétaux importants […] » (p. 32). Pour finir, l’A. souligne également l’importance des mouvements dans l’espace-procès pénal : s’asseoir, se lever sont des mouvements relevant du « langage d’autorité » (citation de BOURDIEU), que l’interprète doit connaître.
Après la description de l’espace judiciaire-salle d’audience, l’A. observe la centralité de l’interprète lors des débats. En effet, l’A. rappelle que l’espace judiciaire n’est pas forcément disponible au dialogue interculturel. D’où la responsabilité éthique de la médiation linguistique assurée par l’interprète face aux justiciables que l’A. décrit ainsi : « Personne tierce, relais essentiel dans la triangulation des échanges bilingues dirigés par le président, l’interprète permet à la personne allophone, quel que soit son statut au procès, de suivre et de prendre part à une situation qui le concerne. Autrement dit, par son action, il tente de rétablir l’égalité des armes, compromise non seulement par l’obstacle linguistique, mais aussi par une distance culturelle dont la configuration de l’espace judiciaire est une manifestation concrète » (p. 35).
Comme le précise l’A. dans sa conclusion, ce questionnement intéressant sera certainement enrichi par des données écologiques recueillies dans les différents espaces judiciaires.
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Les données sont au cœur de la riche contribution de Caterina FALBO et de Natacha NIEMANTS (Œuvrer pour se comprendre : de la responsabilité de l’interprète et des autres participants, pp. 39-66). Les A. proposent l’analyse conversationnelle d’une partie – outillée à l’aide du logiciel ELAN – du corpus du Centre interuniversitaire d’analyse de l’interaction et de la médiation AIM. Il s’agit de 60 interactions plurilingues (anglais, arabe, français, italien, punjabi, twi, urdu) entre soignants aux profils professionnels diversifiés, patients aux statuts variés et interprètes-médiateurs (désormais I-M), ces derniers étant souvent des femmes non formées à l’interprétariat. Les interactions analysées couvrent la période 2010-2018 et s’appuient sur des mémoires de Master ainsi que sur des projets de recherche financés par l’Université de Modène et de Reggio d’Émilie. Plus précisément, les A. ont porté leur attention sur 3.215 couples de tours de parole consécutifs correspondant à « une action de la part d’un professionnel de santé et une action suivante de la part de l’interprète-médiatrice, avec un écart temporel inférieur à deux secondes » (p. 48).
En tirant parti des études en analyse conversationnelle surtout – et pas exclusivement – de BARALDI et de GAVIOLI, les A. présentent une analyse qualitative des espaces discursifs co-construits entre soignants et I-M. La dynamique de l’interaction remet en question la fixité des rôles des interactants et permet aux A. de se focaliser sur le positionnement (positioning) et sur l’autorité épistémique de l’I-M dans les interactions en milieu médical.
Deux cas de figures majeurs sont ainsi distingués et formalisés par les A.
Le premier correspond au cas où le soignant s’adresserait à l’I-M en tant qu’expert en matière non linguistique. À ce propos, l’I-M est sollicité par le soignant pour exprimer un avis ou un conseil, par exemple sur la poursuite d’un accompagnement institutionnel d’un patient (Exemple 1, pp. 49-50) ou sur la possibilité et sur la pertinence de poser des questions personnelles à un patient (Exemple 2, pp. 50-51). Toujours dans ce premier cas où l’I-M joue le rôle d’expert conseil du soignant, les A. analysent des interactions où les soignants demandent aux I-M d’agir. Des routines telles « dis-lui » ou « explique-lui » peuvent être utilisées comme marqueurs discursifs pour identifier ces demandes du soignant. C’est bien le cas d’un exemple analysé sur la transmission de connaissances spécialisées, à savoir l’explication d’une gastroscopie (Exemple 5, pp. 54-55), par l’I-M. Pourtant, ces marqueurs ne sont pas toujours nécessaires, d’après les A., pour envisager cette demande d’action. Ce qui est montré par l’action d’explicitation que l’I-M effectue à propos d’informations implicites évoquées par le soignant au sujet d’examens médicaux nécessitant le consentement du patient (Examen 6, pp. 55-57).
Le deuxième cas de figure décrit par les A. porte plutôt sur l’utilisation du code switching par le soignant pour communiquer avec le patient. Ce cas de figure implique donc l’appropriation de la compétence langagière propre à l’I-M par le soignant. À cet égard, le code switching peut contribuer à montrer de l’empathie et renforcer la confiance soignant-patient (Exemple 7, pp. 57-58), l’I-M devenant ainsi garant de la bonne communication entre les deux acteurs. Néanmoins, d’après les A., le code switching opéré par le soignant peut être à l’origine d’une remise en question de l’autorité interlinguistique de l’I-M, comme montré par le choix quasi synonymique des unités lexicales urine/pisse/pipi (Exemple 9, pp. 59-60).
Les A. terminent leur contribution en soulignant ainsi l’adaptation constante de la médiation – voir des médiations – par l’I-M dans le cadre des différentes interactions en milieu médical. D’une part, cette adaptation est nécessaire face aux besoins d’intelligibilité des propos à relater aux patients pour que la médiation interlinguistique ait lieu. D’autre part, cette adaptation est contrainte par les dires des soignants. Ces derniers en effet demandent aux I-M d’agir en dépassant leur autorité linguistique et par conséquent leur responsabilité effective dans le processus de médiation. En reprenant les mots des A. : « l’utilisation plus ou moins (in)consciente, de la part des soignants, des invitations, des délégations et des alternances codiques analysées ici […] montre en effet la fragilité d’une interaction fondée sur le brouillage des compétences et des responsabilités de chacun et appelle à la sensibilisation des professionnels tant de la langue que de la santé sur ce qu’œuvrer ensemble peut bien vouloir signifier » (p. 63).
II partie – « Médiation culturelle, appropriation des patrimoines et apprentissage du français »
Lucile CHASTRE (Organiser le dialogue entre les dignités et les richesses culturelles de chacun. Retour d’expérience, pp. 69-87) illustre le projet annuel « Empreintes » (trois éditions) porté par le Musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis en Île-de-France. Le projet est né en 2017 en collaboration avec le milieu associatif (Association Franciade) et l’Unité d’Archéologie de Saint-Denis afin de permettre aux habitants du quartier Grand-Centre-Ville de prendre conscience de la construction du patrimoine d’une ville.
Pour commencer, les participants ont été accompagnés d’experts du patrimoine artistique ainsi que par des médiateurs culturels lors de visites patrimoniales. Par la suite, ils ont choisi des éléments représentatifs d’une vision personnelle de la notion de « patrimoine » dans leurs cadres de vie respectifs – monuments, œuvres d’art mais aussi cafés, personnalités, blasons et valeurs – pour enfin re-créer ces éléments-« empreintes » au sein d’ateliers de céramique et de sérigraphie à l’aide de professionnels dans les deux domaines. La restitution des créations a été pérennisée sous forme de carreaux et notices affichés, d’un livret, d’un cartel ou de rideaux ornés des sérigraphies ainsi que d’autres gadgets visibles dans différents endroits du Musée, certains étant disponibles à l’achat.
L’A. affirme que l’un des intérêts du projet a été de favoriser la rencontre entre des publics venant d’horizons différents (enfants, jeunes ou adultes actifs, adultes issus d’IMPro, seniors), tout en veillant aux spécificités d’accueil et d’adaptation des uns et des autres.
L’action des médiateurs culturels est mise en avant surtout en ce qui concerne la création, la facilitation et la gestion du dialogue entre tous les acteurs du projet. À ce propos, l’A. s’attarde sur les échanges avec les participants pendant les balades urbaines de découverte du patrimoine. Dans ce contexte, les médiateurs culturels ont eu le rôle « d’apporter du savoir et, en même temps, d’orchestrer la discussion autour d’un objet patrimonial » (p. 75), la compétence historico-artistique des médiateurs rencontrant et cédant parfois le pas aux apports biographiques et personnels des participants. En ce qui concerne la première édition du projet, l’action de médiation a également porté sur la concertation autour des restitutions à prévoir. Les médiateurs du Musée ont en effet été les initiateurs de propositions qui n’ont pas été finalement retenues, et ce, en faveur d’une piste alternative co-construite et partagée par tous les acteurs.
Toutefois, comme l’A. le souligne à bon escient, l’action nécessaire de médiation – parfois de négociation – par une figure – dans cette situation, interne et « dépendante » – n’est pas sans lien avec la volonté et la responsabilité des acteurs impliqués : « La réussite du dialogue tient à la bonne volonté de l’ensemble des participants et à l’action facilitatrice de quelques-uns, professionnels et usagers, qui font office de médiateur entre les individus, sans que ce soit nécessairement leur métier » (pp. 78-79). Ces conditions, tout comme la confiance des institutions vis-à-vis des employés et des usagers (p. 86) sont évoquées comme indispensables pour la réussite d’un projet culturel participatif et inclusif. Néanmoins, certains aspects ont représenté un obstacle, selon l’A., à la pratique de médiation décrite : le temps ; les pratiques professionnelles des différents acteurs impliqués ; la sporadicité de la participation de certains acteurs.
Remarquons qu’en fin de contribution, l’A. explicite une réflexion linguistique sur le terme utilisé pour désigner des personnes impliquées dans ce projet de médiation culturelle. En laissant de côté des termes tels bénéficiaire, participant ou contributeur, le néologisme empreinteur s’est imposé spontanément dans les échanges écrits et oraux entre tous les acteurs du projet, et ce, de façon pragmaterminologique.
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À travers le projet « J’apprends le français avec le Musée Carnavalet – les petits métiers parisiens » du Musée Carnavalet ou Musée de l’Histoire de Paris dans le Marais, Françoise FAVART décrit la relation entre appropriation de connaissances culturelles et apprentissage d’une langue dans une situation de médiation culturelle (La médiation culturelle au musée entre apprentissage linguistique et prérequis culturels, pp. 89-112). L’A. affirme donc s’intéresser à la médiation culturelle en tant qu’acte de parole, suivant CAUNE, tout comme condition d’apprentissage de langue et de culture, en s’appuyant sur les propos d’un entretien entre CAILLET et SERRES (p. 91-92). C’est cette accessibilité à la culture mise en avant par la Ville de Paris qui a été à l’origine du projet de médiation culturelle du Musée Carnavalet. Plus précisément, il a porté sur la collection regroupant 200 enseignes parisiennes du 16e au 20e siècle. D’après les concepteurs du projet, l’accès à cette culture populaire a concerné principalement les habitants des quartiers relevant des Politiques de la Ville. L’attention à l’apprentissage du français a visé particulièrement les immigrés allophones de ces quartiers.
Pour sa contribution, l’A. analyse la « scène d’énonciation », suivant MAINGUENAU, et son « environnement », suivant PAVEAU, à savoir « le/s destinataire/s, la finalité ou visée illocutoire, ainsi que les formes d’énoncé adoptées dans les activités proposées » (p. 96) tout comme, si besoin, les documents iconographiques de deux livrets issus du projet : l’un – J’apprends le français au Musée Carnavalet. Livret d’aide à la visite pour les apprenants de la langue française (Alpha/FLE et ASL) – à destination d’apprenants de français, l’autre – J’apprends le français au Musée Carnavalet. Guide pédagogique pour l’accompagnateur – à destination d’un accompagnateur/formateur qui n’est d’ailleurs jamais qualifié de médiateur (p. 99).
En ce qui concerne la finalité, si le premier livret envisage explicitement l’apprentissage du français de façon autonome par des apprenants, le deuxième se veut un véritable appui à l’exploitation en amont, de façon synchrone à une visite ou a posteriori du premier par l’intermédiaire d’un accompagnateur/formateur. Pour ce qui en est des activités proposées notamment par le premier livret, l’A. passe au crible linguistique et contextuel les énoncés disponibles. Elle pointe certains décalages entre les tâches suggérées et les profils des apprenants, surtout les apprenants (très) peu alphabétisés et ayant une (très) faible connaissance des spécificités culturelles parisiennes. Plus particulièrement, l’A. pointe l’implicite du savoir culturel partagé par les concepteurs du livret : cet implicite n’est pas forcément explicite, acquis et partagé par les destinataires du livret. En guise d’exemple, l’A. mentionne la difficulté qu’un apprenant de français aurait face à l’adjectif « célèbre » pour qualifier une place (en l’occurrence, la Place des Vosges) à côté (mieux vaut dire, pour l’A., « à proximité ») du Musée, comme montré dans la formulation d’une des questions faisant partie des activités proposées (pp. 104-105). Encore à l’égard du fait que « la culture de référence risque d’être un obstacle à la compréhension » (p. 107), l’A. souligne la difficulté terminologique de certains noms de métiers disparus qui seraient à associer à des objets peu usuels. D’après l’A., une telle activité contribuerait à l’affaiblissement de la finalité de « la médiation culturelle qui voudrait faciliter l’insertion de personnes en difficulté au plan social et dont les compétences linguistiques sont annoncées comme inexistantes ou limitées » (p. 108).
C’est en raison de ces aspects culturels et discursifs critiques que l’A. conclut sa contribution en précisant que « la pierre d’achoppement d’un projet louable dans ses intentions relève peut-être d’une tendance à considérer sa propre culture comme une valeur en partage ou comme un savoir universel » (p. 110). L’ethnocentrisme des concepteurs du projet tend ainsi à passer sous silence le capital culturel de ses destinataires et la rencontre entre les différents patrimoines culturels.
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Jean-Paul DUFIET (Le théâtre comme médiation de l’interaction en FLE, pp. 113-140) se concentre sur le processus de médiation du théâtre comme levier d’apprentissage du français par des allophones peu ou non alphabétisés en français et issus de milieux familiaux et culturels variés. Plus particulièrement, sa contribution décrit les avantages de l’utilisation de la méthode Glottodrama dans la mesure où le théâtre permettrait aux apprenants de travailler simultanément écrit et oral ainsi que de réfléchir sur et de s’emparer de la parole et de l’interaction. De même, d’après l’A., la médiation théâtrale permettrait « de créer un sentiment d’appartenance commune grâce à l’apprentissage du FLE comme langue et culture partagée […] (et) de respecter les personnes qui se sont lancées dans l’aventure de l’immigration en France et de ne pas nier leur identité première » (p. 114-115).
Pour commencer, l’A. s’attarde sur les spécificités de la méthode Glottodrama, à savoir :
1. la co-animation de la formation par un formateur linguistique et un formateur théâtral ;
2. des séquences didactiques prévoyant une durée des séances allant de 3 à 6 heures ;
3. le travail à partir d’un écrit – dialogique et non monologal, adapté au niveau du groupe d’apprenants – lu, analysé, joué et filmé ;
4. la pédagogie de l’erreur accompagnée de l’explicitation des spécificités des faits de langue tout au long des répétitions ainsi qu’après les enregistrements ;
5. le jeu dramatique d’une deuxième scène toujours filmée.
L’A. tient à souligner que « le visionnage des enregistrements permet aux apprenants de réfléchir à la manière de communiquer leurs intentions » (p. 122). Néanmoins, une correction phonétique guidée par le formateur linguistique est possible, aussi.
Par la suite, l’A. propose l’analyse d’un écrit qu’une association a utilisé lors de la mise en œuvre de la méthode Glottodrama. Le texte est un dialogue au ton de la comédie entre quatre personnages. Le dialogue tourne autour de deux thématiques : l’affranchissement d’une dynamique de groupe contraignante et le choix d’un parcours professionnel qualifiant. L’A. décortique le texte du point de vue de la construction théâtrale, tout comme du choix des référents culturels et du choix lexical, de la richesse morpho-phonétique ainsi que et surtout des spécificités de la syntaxe orale (ex. le présentatif « c’est moi » ou des ellipses dans la construction non marquée). Selon l’A., « l’apprenant mesure dans le dialogue théâtral que parler ne consiste pas exclusivement ni même principalement à respecter des règles linguistiques, mais beaucoup plus à utiliser des moyens linguistiques et discursifs pour collaborer au sens de l’interlocution avec les autres locuteurs » (p. 127).
Ensuite l’A. décrit et analyse un deuxième texte, à savoir la transcription d’un texte joué par des apprenants et dont l’enregistrement a été tiré directement du site de la méthode Glottodrama. La saynète tourne autour de l’insistance d’une cliente enceinte désirant commander un steak haché dans un restaurant. Suite aux refus répétés du personnel du restaurant provoquant l’énervement de la cliente, cette dernière accouche de façon comique. Encore une fois, l’A. décortique le texte. Son regard porte d’abord sur l’oralité des apprenants. Plus précisément, il remarque les changements de pronoms d’adresse, le respect des règles conversationnelles et de la prosodie. L’A. enchaîne avec la description de certaines représentations mentales qui seraient transférées dans la situation mise en scène, comme le « comportement culturel de liberté et d’indépendance » (p. 134) d’une femme seule européenne au restaurant ou l’obstination de la femme enceinte : « vraie ou fausse, cette représentation des femmes enceintes est très partagée en Europe, en particulier en France » (ibid.), écrit l’A. En fin d’analyse, l’A. insiste sur le fait que cette situation d’interaction commerciale et de désaccord débouche sur une fin burlesque plutôt que sur une fin découlant d’une argumentation. D’après l’A., l’évolution – comique – en interaction des positions défendues par les personnages permettrait en même temps aux apprenants de s’interroger sur une chute de la même situation dans la réalité.
C’est pourquoi l’A. peut conclure sa contribution en affirmant que « toute situation théâtrale engendre un apprentissage multiple, car son plan linguistique se déploie dans la culture et les relations humaines » (p. 138).
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La contribution d’Elisa RAVAZZOLO (Le récit au prisme de la médiation culturelle, pp. 141-166) permet de faire le lien entre art, culture, société et participation à la vie culturelle et sociale (d’après LAFORTUNE).
L’A. travaille sur un corpus tiré de l’ensemble des projets menés dans le cadre de l’appel national « L’action culturelle au service de la maîtrise du français » du Ministère de la Culture français. Plus précisément, l’A. s’attarde sur l’analyse des interactions et des récits dans le cadre du projet « Racines » porté par le Musée d’art et d’histoire Paul Eluard à Saint-Denis (cf. la contribution de CHASTRE dans le présent ouvrage) ainsi que sur les films réalisés par l’association Equipe Monac.1 de Tourcoing pour le projet « Après-demain ». Le public cible des deux projets est représenté par des migrants allophones, parfois non alphabétisés.
En ce qui concerne le processus de médiation culturelle, l’A. précise que, pour le projet « Racines », le point de départ du processus a été un objet d’art muséal enrichi par la suite d’aspects aussi bien biographiques que fictionnels de la part des participants. En revanche, le projet « Après-demain » s’est appuyé sur des récits d’expériences authentiques des participants et filmés. L’A. tient à souligner que « malgré leur diversité, ces discours ont ceci en commun : il s’agit dans les deux cas de récits produits non pas dans l’immédiateté d’une conversation spontanée, mais dans une situation énonciative très particulière liée à une activité de formation et de médiation culturelle » (p. 146).
La contribution présente ainsi une description et une analyse très fines de son corpus. Du point de vue du contenu, la représentation mentale du pays d’origine et la relation à la langue maternelle constituent les thématiques partagées par le corpus. D’autres thématiques, comme la scolarisation, l’arrivée en France et la relation avec les autres migrants sont également évoquées. À titre d’exemple sur les productions orales du genre discursif « visite racontée » du projet « Racine », citons ici un puits-objet muséal qui regagne son statut d’objet du quotidien dans le récit d’une participante puisant dans son vécu (pp. 148-150). Dans ce projet, l’objet muséal est ainsi un appui mnésique ou un pré-discours resémantisé servant à engendrer un discours biographique et/ou fictif de la part des participants. En ce qui concerne les films du projet « Après-demain », les récits biographiques des participants juxtaposent leurs voix-off et les scénarios évoquées, souvent de façon dissociée. Ce décalage peut également concerner l’identité de la voix-off, comme dans l’exemple décortiqué par l’A. du film « Famille Mihaylova » où l’un des enfants raconte à la première personne le parcours migratoire de sa mère (pp. 152-153).
L’A. boucle son travail sur la mise en relief des relations entre les productions de son corpus et le processus de médiation culturelle. Au-delà des remarques sur des « indicateurs d’identité linguistique » (repris de DUPOUY), tel l’accent, l’A. se concentre davantage sur l’expression des émotions découlant de l’implication des participants. En s’appuyant sur le cadre théorique et méthodologique de PLANTIN, l’A. met en évidence l’émotion « sémiotisée » et que les signes verbaux et non verbaux permettent de reconnaître. De façon globale, l’A. remarque que les récits du projet « Racines » sont caractérisés par l’« auto-valorisation systématique de l’expérience vécue » (p. 160) par les participants, par une sémiotisation implicite via les signes verbaux et par une explicitation passant par la prosodie et la gestuelle. En revanche, l’A. observe que les participants au projet « Après-demain » affichent une alternance de positivité et de négativité dans la manifestation de leurs émotions. La charge émotionnelle est restituée par des signes verbaux connotés, parfois explicitant clairement l’émotion, mais aussi et surtout par la multimodalité que l’objet culturel-film permet d’offrir : dessins, musiques et images, entre autres.
L’A. peut ainsi conclure que « la prise de parole des migrants est en quelque sorte légitimée et qu’elle reçoit, exceptionnellement, une valeur symbolique » (p. 163) grâce à ces projets de médiation culturelle.
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L’ouvrage se termine sur une restitution du parcours migratoire des Italiens en Franche-Comté à partir de l’analyse du verbatim d’entretiens semi-dirigés (septembre 2019-janvier 2020) d’émigrés italiens réalisés dans le cadre du projet européen Eurodyssée. Pour commencer, Frédéric SPAGNOLI et Rafael DÍAZ PERIS (Histoires, récits et mémoires de l’immigration italienne à Besançon, pp. 167-192) présentent le cadre historique du parcours migratoire des Italiens en Franche-Comté. Une attention particulière est portée au 19esiècle et à la communauté italienne de cette période : essentiellement Lombards et Piémontais, artistes, artisans tout comme maçons et ouvriers. C’est pendant l’entre-deux-guerres au 20e siècle que les Italiens constituent la communauté la plus importante en Franche-Comté, surtout dans les zones de Montbéliard et de Belfort. Les raisons économiques, notamment le chômage et la rémunération, sont centrales pour expliquer ce flux migratoire. Après la détérioration de l’image italienne pendant la période fasciste et la demande de naturalisation française de la part de plusieurs Italiens, l’immigration italienne en France reprend après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, en contribuant surtout à la main d’œuvre dans le secteur du bâtiment. À ce moment, la provenance n’est plus limitée au Nord de l’Italie. À partir des années 1960, la « Ritalie bisontine » (p. 172) s’estompe mais elle reste bien vivante.
En guise de premier exemple de cette histoire franc-comtoise de la migration italienne, les A. s’attardent sur la figure du médiateur vénéto-bisontin d’une soixantaine d’années qui leur a servi de relais-contact d’autres informateurs Italo-Bisontins de première génération. Les A. parlent de leur médiateur comme « impliqué lui-même dans l’histoire des personnes-témoins, à la quête d’une identité italienne à retrouver » (p. 173) au point qu’il souhaiterait contribuer à la création d’une association italienne à Besançon. Les A. décrivent également certains traits émergeants de l’identité de leur médiateur : la centralité du sport, notamment le football, parmi ses intérêts ; le sentiment d’une double appartenance franco-italienne ; l’attention aux corps des défunts et à leur rapatriement.
Ensuite, les A. entreprennent l’analyse de contenu des entretiens. La « migration par amour » (p. 177) des femmes et des enfants est abordée en premier lieu à l’aide du verbatim de deux femmes retraitées siciliennes. La dimension affective de l’abandon du pays d’origine est tout de même rendue nécessaire par « le manque de travail et l’espoir de richesse » (p. 178) qui est explicité par le verbatim d’un entrepreneur de maçonnerie romain à la retraite. À ce propos, une retraitée frioulane évoque également la recherche concertée entre mairies italiennes et entreprises françaises pour le recrutement de main d’œuvre pendant les années 1950. La météo franc-comtoise et son froid, le manque de maîtrise du français et la tension séparation-intégration au pays d’accueil, le rôle de socialisation de la mission catholique italienne de Besançon et la capacité progressive des Italiens à devenir entrepreneurs dans le bâtiment après l’expérience acquise en tant qu’ouvriers sont les autres thématiques qui apparaissent dans les entretiens.
Les A. concluent leur contribution en invitant à exploiter ces entretiens pour transmettre non seulement la mémoire des Italiens à leurs descendants mais aussi pour que la communauté bisontine prenne conscience de son « hétérogénéité historique et culturelle » (p. 187).
[Mario MARCON]