Franck Neveu, Audrey Roig (Eds.), L’adjectivité. Approches descriptives de la linguistique adjectivale, Berlin/Boston, De Gruyter, 2020, 507 pp.
L’ouvrage se propose d’explorer la question de l’adjectivité à travers les langues : la première partie est consacrée à la langue française ; la deuxième à des langues diverses (mandarin, japonais, russe, hébreu, anglais) ; la troisième adopte une approche comparative impliquant la langue française (à l’exception du dernier essai qui ne concerne que la langue arabe).
Le chapitre introductif (Introduction. Réflexions terminologiques et méthodologiques sur l’adjectivité, Franck Neveu et Audrey Roig, pp. 1-23) présente l’objectif global de l’ouvrage : “Il s’agit […] de faire travailler une notion, l’adjectivité, mal établie dans les nomenclatures et les usages terminologiques, afin de se donner la possibilité de poser autrement que dans les termes convenus de la tradition grammaticale française la question de la linguistique adjectivale” (p. 1). Les éditeurs mettent ainsi la table autour de la notion de l’adjectivité à travers une analyse syntaxique, prenant en compte l’étude du système appositif dans le cadre de la linguistique du détachement, sans nier l’importance du cadre énonciatif, pour poursuivre avec une réflexion sur la problématique terminologique que l’adjectivité et l’adjectivation affectent. Leurs réflexions aboutissent à une définition de la notion d’adjectivité qui passe par la notion d’adjectivation en situant les deux dans un rapport de complémentarité.
Le chapitre 1, Adjectif, adjectivité et adjectivite (Marc Wilmet, pp. 27-39), ouvre la question à travers une recherche de définition qui passe par la notion d’incidence proposée par Guillaume, ainsi que par les classes grammaticales, pour terminer par la prise en compte du contexte : l’incidence est ainsi appréhendée du point de vue du syntagme d’abord et de la phrase ensuite.
Le Chapitre 2, Quels critères de l’adjectivité pour… l’adjectif en français ? (Jan Goes, pp. 40-60), part des constats du statut noun-like de l’adjectif en français, d’une part, et des efforts d’émancipation de l’adjectif par rapport au substantif, de l’autre, pour présenter une sous-catégorisation de plus en plus poussée et faire état des liens entre les différentes sous-classes. La définition du prototype adjectival est suivie de la prise en compte de types divers d’adjectifs dans l’objectif final d’avancer l’hypothèse de l’existence d’un seul type d’adjectif qui connait plusieurs emplois (qualificatif, relationnel, du troisième type).
Dans le Chapitre 3, Peut-on présumer de la capacité d’un nom à s’adjectiver ? (pp. 61-76), Michèle Noailly s’interroge sur le statut des noms qualifiant d’autres noms : après avoir passé en revue les principaux types de noms épithètes, l’A. s’interroge sur la capacité de certains substantifs à acquérir, plus que d’autres, la propriété de l’adjectivité.
Le Chapitre 4, Les syntagmes prépositionnels en de assimilables aux adjectifs (Charlotte Schapira, pp. 77-90), se propose de mettre au clair le statut d’une autre construction syntaxique concurrençant l’adjectif à proprement parler, à savoir le syntagme prépositionnel apparaissant dans les constructions de type N1 de N2 (non déterminé). Dans l’objectif de démontrer que ces constructions sont destinées à fonctionner en langue comme des adjectifs, l’A. dresse un portrait général du phénomène du syntagme prépositionnel accompagnant le nom, pour se concentrer spécifiquement sur les constructions de + N2 lexicalisées et en composition libre. L’étude s’achève sur l’identification des critères de l’adjectivité des segments prépositionnels en de lui permettant d’en présenter une taxinomie systématique réorganisée en plusieurs catégories distinctes.
Le Chapitre 5, Détachement et adjectivité (Frank Neveu, pp. 91-126) se penche sur la corrélation de ces deux notions. Le point de départ est représenté par la problématique actancielle du détachement, dont l’A. approfondit, dans l’ordre, la question du contrôle référentiel du terme descripteur détaché, celle du format syntaxique de ce terme descripteur et la fonction de sa place dans l’énoncé, pour en conclure que l’adjectivité ne saurait être conférée à un segment linguistique sur des bases morpho-syntaxiques, mais plutôt sur des critères syntaxiques et énonciatifs permettant de prendre en compte la question interprétative et celle de la représentation discursive du segment lui-même.
Dans la troisième partie, le français revient à travers des approches comparées qui tiennent compte d’autres langues.
Le Chapitre 13, L’adjectivité en anglais et en français (Daniel Henkel pp. 295-332) aborde la question de l’adjectivité en soulignant l’importance de trouver une définition commune de la catégorie adjectivale, permettant de distinguer les séquences présumées non adjectivales apparaissant dans ces mêmes fonctions. L’analyse se consacre, dans les deux langues, aux lexèmes à vocation substantivale ou verbale employés de manière adnominale et aux lexèmes à vocation verbale employés dans un syntagme nominal ou après un verbe copule. Dans les deux cas, l’A. admet, pour certains lexèmes, la possibilité d’une double appartenance catégorielle.
Le Chapitre 14, L’adjectivité face à la perméabilité catégorielle. Examen contrastif du néerlandais et du français (Peter Lauwers et Kristel Van Goethem, pp. 333-355), se penche sur la question de l’adjectivité intercatégorielle, notamment à la frontière entre adjectif et nom. Après un aperçu de la question de la catégorie adjectivale en néerlandais dans une analyse contrastive avec le français, ainsi qu’une présentation de la notion de l’adjectivité intercatégorielle, l’étude se propose de montrer que le français est caractérisé par une perméabilité catégorielle plus grande entre nom et adjectif que le néerlandais.
Dans le Chapitre 15, L’adjectivité en allemand et en français – étude comparative (Stéphanie Benoist, pp, 356-376), la question de l’adjectivité est abordée comme propriété, pour une partie du discours, d’être incidente au nom. Les trois fonctions de l’adjectif identifiées pour le français – fonction épithète, fonction attribut ou apposition – sont reprises et appliquées à la langue allemande.
Le Chapitre 16, Adjectivité : statut et description grammaticale de l’adjectif dans la tradition scandinave, notamment suédoise (Mats Forsgren, pp. 377-391) fait état du statut de l’adjectif, dans une perspective comparative, selon les principes et les critères établis par les traditions française et suédoise : pour ce faire, l’A. passe en revue les questions du syntagme adjectival, de l’accord, de la gradation, de la syntaxe valencielle, des fonctions syntaxiques et de la place de l’adjectif épithète.
Le Chapitre 17, L’adjectivité et le temps. Les propriétés permanentes et situationnelles des adjectifs finnois (Eva Havu et Rea Peltola, pp. 392-410), compare la classe de l’adjectif en français et en finnois à partir du concept de propriété et à travers des critères spatio-temporels. L’étude fournit un aperçu des classes d’adjectifs en finnois et en français, notamment des groupes d’adjectifs où les facteurs spatio-temporels entrent en jeu. Elle consacre, ensuite, une étude détaillée aux emplois adjectivaux du participe TAVA en finnois dans l’objectif plus général de compléter les descriptions prototypiques de l’adjectif, notamment dans l’organisation des zones périphériques.
Dans le Chapitre 18, Détermination et adjectivité du nom attribut en espagnol et en français. Éléments de comparaison (Alvaro Arroyo-Ortega, pp. 411-421), le nom attribut est appréhendé du point de vue de la présence/absence de déterminant, en passant par la gradualité et par l’idée d’image grammaticale, à savoir l’image fixe que nous rend le web en lançant la requête d’une expression contenant un nom attribut dans la section « images » du moteur de recherche.
Le Chapitre 19, Adjectivité entre lexique, syntaxe et discours : le cas de la recatégorisation N➔Vq en vietnamien (Huy Linh Dao et Thành Do-Hurinville, pp. 422-445), se propose d’identifier la catégorie de l’adjectif en vietnamien en partant du présupposé que les expressions vietnamiennes équivalentes aux adjectifs des langues flexionnelles constituent une sous-classe de la catégorie verbale. En partant d’une mise au point terminologique sur les notions de transcatégorialité et de polyfonctionnalité, l’article prend en compte des cas où le nom se comporte, en vietnamien, comme un verbe de qualité en assumant ainsi un rôle adjectival. L’article s’achève par une comparaison avec des constructions similaires en français.
C’est sur des constructions à prédication seconde en français, comparées avec un type particulier d’énoncé exclamatif que se concentre le Chapitre 20, Quelques cas particuliers de l’adjectivité en français et en japonais (Naoyo Furukawa, pp. 446-468). La première partie est consacrée aux constructions françaises dans lesquelles la question de la prédication seconde est exemplifiée à partir du cadre syntaxique il ne… de N que A. Les énoncés exclamatifs japonais sont présentés d’abord dans leurs principales caractéristiques et, ensuite, dans l’un de leurs constituants, notamment l’élément nominal.
Après une étude (Chapitre 21, L’adjectivité en arabe. L’état d’annexion et la relative, Nizha Chatar-Moumni) consacrée entièrement à la langue arabe, Adriana Orlandi et Michele Prandi dressent un bilan, dans leur Conclusion (pp. 491-496), sur l’universalité de la catégorie adjectivale.
[Paolo FRASSI]