Isabelle CLERC (dir.), Communication écrite État-citoyens : défis numériques, perspectives rédactologiques, Laval, Presses de l’Université Laval, 2022, pp. 258.
Ce volume réunit une sélection des communications présentées à l’occasion du colloque international Communication écrite Etat-citoyens : défis numériques, perspectives rédactologiques qui a eu lieu en octobre 2021 à l’Université Laval au Québec.
L’ouvrage permet de faire le point sur les enjeux contemporains de la rédactologie. Plus particulièrement, il approfondit les apports de la rédactologie à l’ère de la numérisation de l’information, de la communication et de la prestation des services par les autorités publiques. A ce propos, les auteurs du volume ancrent leurs réflexions et leurs remarques sur la Belgique, sur la France, sur l’Italie et sur le Québec.
« L’acte de communication inscrit dans un processus de communication déterminé par le lecteur/utilisateur et ses besoins » (p. 4) qu’est l’objet d’étude de la rédactologie, comme le rappelle I. CLERC dans son Introduction, est appréhendé autour de trois axes :
I. Rédactologie et intervention en simplification
II. Fracture numérique et inclusion
III. Du document à l’écosystème informationnel
I. Rédactologie et intervention en simplification
Valérie Delavigne, “L’hospitalité des textes : perspectives socioterminologiques”, pp. 15-51.
En s’appuyant sur le paradigme socioterminologique qui caractérise la plupart de ses travaux de recherche, l’A. dresse un bilan critique sur les démarches de simplification administrative de la communication écrite par la France.
L’A. porte son attention sur l’ensemble des guides et des normes suggérant des conseils d’ « écriture simple ». D’entrée de jeu le constat sur ces outils est clair : « Sur le plan du contenu, les recettes empiriques, qui sont autant de règles dictées par le bon sens, se placent à des niveaux linguistiques différents, souvent sans justification technique ni modèle explicite ; elles ne tiennent pas toujours compte du contexte, des aspects phrastiques, des enchaînements, des questions d’appropriation des terminologies » (p. 16).
L’A. interroge le processus de production de textes numériques et rappelle comment le numérique a affecté la production, la mise en forme et l’interprétation des écrits. L’hypertextualité, la multimodalité, la manipulabilité et la variabilité des écrits numériques impliquent ainsi que l’usager/lecteur adopte une nouvelle posture : celle d’« acteur de l’information » (p. 19).
Selon l’A., les pratiques de lecture sont elles-mêmes modifiées par le numérique, notamment par le pouvoir d’un clic altérant la linéarité de la lecture. Ces nouvelles habitudes de lecture vont de pair avec les injonctions d’efficacité que l’A. observe dans un corpus composé de contenus de formation à l’écriture numérique.
L’A. remarque combien ces suggestions ignorent les apports de la linguistique et de la rédactologie, notamment de son interdisciplinarité, pour expliquer le processus de production d’un écrit numérique.
L’A. s’attarde ensuite à définir les contours de la rédactologie comme discipline / champ de recherche, en s’adonnant à une analyse des termes « efficacité communicationnelle », « clarté textuelle » et « littératie ». Une focalisation particulière sur les termes « littératie en santé » et « littératie numérique » est également mise en avant par l’A.
Pour finir, en revenant au cœur d’un des axes de recherche en rédactologie, à savoir la simplification, l’A. se concentre sur l’exemple du consentement éclairé en milieu médical et, en général, sur l’institutionnalisation du droit du patient à l’information. À partir de son expérience dans un projet d’information en cancérologie, l’A. est intervenue dans le processus rédactionnel afin de produire des textes au contenu informationnel adapté aux patients. Entre autres genres, l’ A. s’est focalisée sur les forums de discussion. Pour elle, les forums représentent « un réel espace d’informations périmédicales » (p. 34) et, par conséquent, en rédactologie, ils représentent une source utile pour mieux appréhender et modéliser le niveau de littératie – en l’occurrence, en santé – et les procédés scripturaux propres aux patients/usagers de ces forums médicaux. Ils lui ont servi pour identifier les besoins d’information des patients, pour identifier les termes en usage ainsi que des « pratiques d’écriture, proches des discours de vulgarisation » (ibid.) – la vulgarisation étant un autre domaine de recherche de l’A. – et que l’ A. estime comme réexploitables en rédactologie. À cet égard, l’A. constate que les interactions des scripteurs conduisent à des activités discursives de reformulation permettant la co-construction du sens. Loin d’être une simplification, ces activités discursives scripturales constituent plutôt pour l’A. « une complexification qui vient faciliter la construction du sens et rendre le texte accueillant » (p. 38).
L’A. prône ainsi l’intégration d’une approche sociolinguistique en rédactologie puisque, pour elle, « l’hospitalité des textes » (p. 40) est à saisir dans l’interaction et dans la co-construction coopérative du sens.
Bertrand LABASSE, “Entre expression et communication, les épineuses évolutions de la parole administrative”, pp. 53-80.
L’A. poursuit idéalement l’analyse de DELAVIGNE à propos des préconisations sur la simplification émanant des administrations publiques mais dans une approche (micro)diachronique. Le but est de montrer leur évolution, notamment « les traces d’une tension entre l’optique classique de transmission langagière et le désir d’adaptation aux besoins du lectorat visé » (p. 54) dans les guides contemporains. De façon similaire à DELAVIGNE, y compris en matière de représentativité exhaustive, le constat d’un empirisme dépourvu de toute référence à des acquis scientifique est mis en avant par l’A.
Pour commencer, l’A. reconstruit la présence du sujet de la simplification au fur et à mesure des décennies du XXe siècle, notamment depuis les années 1970 en milieu anglophone. La lisibilité des écrits institutionnels dans une perspective langagière est mise en avant. L’A. aborde ensuite l’attention progressivement portée à l’utilisabilité des écrits institutionnels par leurs destinataires. Cette perspective communicationnelle pose la problématique de la littératie des citoyens-lecteurs, notamment de leurs compétences en lecture.
C’est par l’analyse de l’examen de documents prescriptifs de référence des administrations française, fédérale canadienne et québécoise que l’A. approfondit cette évolution. Deux périodes sont prises en compte : la période entre 1990 et 2005 et les années 2020. Pour les guides de la première période, l’A. observe le partage d’ « un lectocentrisme (« écrivez pour votre lecteur ») très affirmé et régulièrement réitéré » (p. 61), une centration sur la simplification du langagier et l’absence de référence à des acquis scientifiques aidant à mieux expliquer la réception du texte par les lecteurs. Toutefois, l’A. remarque également les traces du tournant communicationnel par la présence d’une attention à des critères extralinguistiques, tels la mise en page, l’examen approfondi du cahier des charges d’une rédaction institutionnelle et la prise en compte des attentes des lecteurs. Quant aux guides de la deuxième période, l’analyse de l’A. aboutit à une non-évolution des contenus, excepté la prise en compte non systématique de remarques liées à la communication numérique ou à des enjeux sociaux, comme l’accessibilité et l’inclusion, et comportementaux.
L’A. accentue le trait commun de l’empirisme. D’une part, l’A. remarque que, dans les guides récents analysés, « la transmission praticienne des recettes empiriques se remarque dans les références bibliographiques » (p. 67) : des renvois sont faits aux guides précédents au lieu de faire appel aux travaux en sciences cognitives, sciences sociales ou sciences du langage. D’autre part, l’A. met en évidence l’empirisme du test et des retours donnés par les lecteurs, qu’ils soient appréhendés de façon qualitative ou quantitative. Sans remettre en question leur validité, l’A insiste sur le fait que les recommandations de ces guides sont donc dépourvues de tout étayage fourni par des notions scientifiques (ex. modèle mental, pertinence) utiles à les justifier. L’A. prend appui sur deux documents (« Un résumé en langage simple du Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées » par l’Office des transports du Canada de 2020 ; une lettre adressée par un Directeur Académique des Services de l’Éducation Nationale (DASEN) en France à des parents d’enfants en décrochage scolaire éventuel de 2012) pour illustrer le manque d’efficacité réelle des guides, notamment au sujet de la prise en compte des attentes et des littératies de leurs destinataires.
L’A. termine sa contribution en passant en revue certains défis numériques auxquels la communication institutionnelle est appelée à se confronter, comme l’hyperconcurrence informationnelle, la multiplicité des voix, la polarisation des avis et la temporalité accélérée. L’A. ouvre la piste de la mise à jour des guides. Il est persuadé qu’« une compréhension théorique minimale des […] nécessités rivales de pertinence (cognitive) et de convenance (sociale) […] pourrait constituer un apport considérable pour éviter à la parole publique de se noyer dans le chaos de la communication moderne » (p. 76).
Sara VECCHIATO, Sonia GEROLIMICH, Mario CASINI, “‘Écrire sur les antibiotiques, c’est pas automatique!’. Enquête italien-français pour une modélisation de médiation scientifique ergonomique dans l’éducation à la santé”, pp. 81-95.
La contribution des A. oriente la première partie de l’ouvrage vers un exemple de modélisation de la simplification dans le domaine de l’éducation à la santé en Italie.
Les A. rappellent que « la littératie en santé est reconnue comme l’un des éléments clés pour cultiver un bon état de santé (OMS, 2019) » (p. 81) et évoquent la notion de « barrière linguistique » lorsque les institutions peinent à gérer la communication scientifique vis-à-vis des citoyens. Les chercheurs proposent ainsi un modèle pour améliorer la réception des informations scientifiques au sujet de la résistance bactérienne aux antibiotiques par des italophones à bas niveau de littératie (niveau 2 maximum de l’OCDE, p. 84) et par des allophones (niveau A2 CECRL en Italien, ibid.). La contribution fait également allusion à la notion de « médiation » lorsqu’elle précise que le modèle proposé vise à améliorer les compétences en production écrite par des « rédacteurs-médiateurs » (ibid.). D’ailleurs, VECCHIATO présente son modèle de « médiation ergonomique » (p. 85) formalisant les procédés que les rédacteurs sont censés utiliser le plus souvent en cas de reformulation pour des publics non experts.
Après avoir brièvement rappelé le sujet de la résistance bactérienne aux antibiotiques, les A. démarrent l’étude de cas de simplification d’un document portant sur ce sujet et rédigé par l’Istituto Superiore di Sanità italien. La traduction française de ce document est également soumise à un public allophone afin d’en mesurer la réception.
Les A. s’attardent d’abord sur les reformulations censées améliorer la communication pour un public italophone à faible littératie. L’étude de cas se base sur 8 reformulations différentes, s’appuyant essentiellement sur le modèle de médiation ergonomique suggéré. Afin d’améliorer la lisibilité du document, des reformulations syntaxiques et sémantiques ont été apportées. Pour augmenter la cohérence textuelle du document, des questions intermédiaires explicitant la finalité des paragraphes ont été insérées. Des ajouts ou des suppressions textuelles ont été effectuées, aussi, par souci d’explicitation ou de marginalité informationnelle. Une attention particulière à la fonction poétique, notamment à la paronomase, a été portée dans la mesure où elle participe à l’efficacité argumentative.
Par la suite, les A. se concentrent sur les pratiques de traduction pouvant faciliter la réception de sujets scientifiques par un public allophone. Les A. ont traduit les 8 reformulations italiennes, les traductions étant assez littérales afin de conserver les spécificités des procédés appliqués, et ce, malgré des difficultés vis-à-vis des différences de fréquence lexicale et par conséquent, des différences de registre entre français et italien. De même, une attention a été portée aux formulations interrogatives, notamment à leur marquage.
Afin de tester l’efficacité réelle de l’inclusion du lecteur à la fois par le modèle et par les reformulations du document retravaillé, les A. annoncent des publications à venir prenant en compte les retours des publics concernés.
Christina ROMAIN, Éric TORTOCHOT, Véronique REY, “Performativité des choix de simplification par un rédacteur professionnel lors de la révision de documents administratifs numériques”, pp. 97-128.
La première partie de l’ouvrage se termine sur une contribution questionnant la relation entre processus rédactionnel et documents administratifs numériques en France. La contribution tourne d’ailleurs autour du rôle du rédacteur, plus précisément autour de la question suivante : « comment reformule-t-il des écrits administratifs et, en particulier, les lettres envoyées à un usager ? » (p. 98), et ce, surtout en lien avec l’écriture numérique et le design graphique.
D’abord, les A. se focalisent sur la posture du rédacteur professionnel de documents administratifs numériques. La prise en compte des lecteurs potentiels mais aussi du client est centrale, surtout lorsque la communication vise un seul destinataire. Comme dans la contribution de VECCHIATO, GEROLIMICH et CASINI, la notion de « médiation » réapparaît à cet égard, toujours en lien avec la figure du rédacteur : « le rédacteur se fait médiateur entre le client (ici l’État), le texte et son lecteur » (p. 100). Cette capacité médiative de mise en relation est accentuée lorsque les A. introduisent la compétence en design graphique par le rédacteur professionnel. Selon les A., en effet, l’outil graphique co-participe à l’efficacité communicationnelle dans un environnement numérique dans la mesure où il contribue à créer « un univers relationnel entre l’administration et l’administré » (ibid.) de façon parfois redondante et toujours complémentaire. Donc « la forme écrite du langage lui-même (gras, italique, relief), l’illustration ou encore l’inclusion de liens hypertextes » (p. 101) sont, entre autres, des appuis graphiques incontournables pour les rédacteurs professionnels puisque, d’après les A., ils contribuent à l’utilisabilité de l’objet textuel numérique ainsi qu’à l’explicitation de la nature de la relation entre l’émetteur et le destinataire. A cet égard, c’est encore la notion de « médiation » à être mobilisée par les A. : « il (le design graphique) joue bien le rôle de médiateur puisqu’il rend compte d’une relation entre la valeur attribuée au langage et à la mise en scène du contexte » (p. 102). Deux termes encore récurrents lorsqu’on aborde la notion de « médiation » sont mentionnés par les A. : lisibilité et empathie. Ce sont les deux finalités, d’après les A., de l’écriture numérique intégrant textuel et visuel.
Après avoir fait le point sur les notions théoriques, les A. présentent leur corpus constitué de documents rédigés par des citoyens et tiré du site voxusagers.gouv.fr. Ce site de l’État français permet aux citoyens de mettre en avant les difficultés de réception rencontrées lors de la lecture de documents administratifs et de suggérer des pistes d’amélioration.
Les A. analysent l’exemple d’une lettre, notamment le cycle de réception – suggestions par les citoyens – appropriation des suggestions par le rédacteur professionnel. Dans la lettre examinée avant les modifications par le rédacteur professionnel, des phrases comme « si vous manquez à cet impératif, vous vous exposez à une radiation » ou la référence aux textes de loi (p. 106) sont signalées par les citoyens comme peu bienveillantes ou claires, par exemple. De même, le caractère visuellement peu aéré est également ciblé. Dans la lettre après les modifications par le rédacteur professionnel, outre des reformulations linguistiques et discursives, les A. constatent l’attention au design graphique : l’ajout d’images, comme une poignée de main, pour mieux définir la relation entre l’administrateur et l’administré ou le recours au gras et aux couleurs pour expliciter les informations, entre autres. Comme l’écrivent les A., le design « dessine le dessein de la relation » (p. 108) où le visuel explicite la relation émetteur-destinataire et guide la compréhension du document.
C’est pour cela que les A. concluent leur contribution en soulignant que le rédacteur professionnel est amené à prendre en compte le design graphique pour renforcer l’efficacité communicationnelle et performative des documents numériques administratifs.
II. Fracture numérique et inclusion
Julie RUEL, Marie Michèle GRENON, Claude L. NORMAND, André C. MOREAU, Alejandro ROMERO-TORRES, “Accès à l’information pour une société inclusive”, pp. 131-144.
La contribution des A. s’intéresse à l’accès à l’information dans un contexte numérique au Québec. Les A. présentent les résultats d’une recherche-action ayant eu lieu entre 2018 et 2020 autour de l’accès à l’information dans le domaine de la santé pour un public en situation d’handicap ainsi que pour un public à faible niveau de littératie. L’expérience a réuni des organisations publiques, des organismes communautaires, des chercheurs et des étudiantes partageant l’intérêt pour l’inclusion.
Même si les A. renvoient les lecteurs à la consultation du site InfoAccessible pour prendre connaissance gratuitement des bonnes pratiques et des outils conçus dans le cadre de cette recherche-action, dans leur contribution ils reprennent « les stratégies et les solutions que les participants ont codéveloppées pour mieux répondre aux enjeux retenus concernant l’accès à l’information et la communication entre l’État et les populations desservies » (p. 135).
Plus précisément, les A. décrivent et exemplifient trois stratégies.
La première stratégie est la sensibilisation des organisations publiques vis-à-vis des niveaux et des types de littératie. Des vidéos et des références sont disponibles dans le site InfoAccessible, notamment pour susciter la prise de conscience autour des notions de « littératie » et d’ « accès à l’information » et présentant des situations-problème fictives L’exemple de la Coalition Communic’Action est mis en avant pour illustrer la stratégie de sensibilisation au sujet de l’accès à l’information pendant la pandémie COVID-19.
La deuxième stratégie suivie est représentée par la compréhensibilité de l’information rédigée. Les A. renvoient encore aux différentes sections du site InfoAccessible réunissant des bonnes pratiques et des ressources. En poursuivant idéalement la contribution précédente de ROMAIN, TORCHOT, REY, la réflexion sur la compréhensibilité du message suggère la prise en compte du non verbal, plus précisément du visuel (des images). Il convient néanmoins de souligner l’apparition exclusive dans cette section de la contribution – et en général, par rapport à l’ensemble des contributions de l’ouvrage – de l’oralité et de l’intelligibilité de la communication orale. La variation des supports – que ce soit pour le format ou pour le genre – est suggérée afin que l’information rejoigne tous les publics. L’exemple de la formation du personnel de la municipalité de Saint-Jean-sur-Richelieu au sujet de l’accès universel à l’information est donné pour cette stratégie.
Pour finir, la troisième et dernière stratégie présentée porte sur la contribution des parties prenantes. A l’image d’autres contributions de cet ouvrage, c’est la prise en compte du public cible qui est mise en avant. Les A. explicitent davantage cette démarche en suggérant un processus de co-construction et de validation de l’information entre rédacteurs et lecteurs. A ce propos, les A. mentionnent l’exemple de co-construction de l’information sur la vaccination contre la COVID-19 par la direction régionale de la santé publique avec le groupe d’alphabétisation « La Jarnigoine » à Montréal.
En conclusion, les A. prônent la démocratisation de l’information, la remise en question du tout numérique dans le cadre de la communication institutionnelle ainsi que l’adoption de pratiques inclusives communes pour l’accès à l’information.
Michèle MONTE, Sophie-Émeline JOUANNY, Franck DANGER, “Écrivains publics et rédacteurs dans les institutions publiques. Les défis de la dématérialisation et les modèles des courriels personnalisés”, pp. 145-157.
Il est encore question de démocratisation de l’information et surtout d’accès aux droits dans cette contribution qui porte sur le statut de l’écrivain public en France à l’ère du numérique.
En effet, d’après les A., l’hétérogénéité de la dématérialisation mise en place par les administrations publiques est souvent à l’origine d’un « parcours du combattant » (p. 147) pour les citoyens français. La numérisation de l’information institutionnelle ainsi que des démarches administratives à entreprendre pour l’obtention d’un service ou d’une prestation a entraîné une évolution du métier d’écrivain public. MONTE et DANGER rappellent d’ailleurs que le métier d’écrivain public a été mentionné dans la liste des nouveaux diplômes professionnalisants à reconnaître par la
« Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté » présentée par le Ministère des Solidarité et de la Santé en 2018. En dépit de cette reconnaissance officielle, les A. soulignent l’oubli de ce métier au niveau national, et ce, malgré la connaissance des services publics par les écrivains publics et surtout leur « compétence en matière de médiation d’écriture » (p. 148).
Le cas vertueux de la Caisse d’allocations familiales (CAF) du Finistère est ensuite présenté par JOUANNY, elle-même écrivaine publique ayant contribué à la création d’un service en ce sens au sein de la CAF du Finistère.
JOUANNY est également à l’origine de la création d’un dispositif chargé de l’alimentation d’une base de modèles de courriels facilitant la clarté des échanges entre la CAF et ses interlocuteurs. Après avoir rappelé les spécificités du genre « courriel », notamment sur ses modalités de lecture et sur la temporalité qu’il implique, l’A. rappelle l’importance de la prise en compte de la réception des courriels administratifs par les lecteurs. Dans ce cadre, l’A. souligne la centralité de l’expertise de l’écrivain public pour la rédaction de modèles de courriels dans la mesure où son travail de création de modèles allie la connaissance des difficultés rencontrées par les usagers, des pratiques administratives et par conséquent, de l’« utilisabilité de l’information » (p. 151). Pour atteindre cette finalité, l’A. met en avant, d’une part, la prévisibilité de la structure du courriel et, d’autre part, la souplesse nécessaire dans certains paragraphes pour inclure des éléments de personnalisation. Afin d’illustrer ces propos, l’A. montre et commente un exemple de courriel portant sur l’allocation logement. Sa description se termine sur le constat que « l’action de l’agent demeure donc incontournable et la création de modèles doit être complétée par la formation nécessaire des scripteurs pour la rédaction de textes et de phrases en rédaction libre » (p. 156).
Myriam NEMAN, “Les pratiques de lecture des informations e-administratives. Vulnérabilisation ou encapacitation des citoyens?”, pp. 159-173.
En continuité avec la contribution précédente, l’attention de l’A. porte sur la dématérialisation par les administrations françaises, notamment de la CAF. Toutefois, si MONTE, JOUANNY, DANGER se focalisent sur la figure de l’écrivain public-rédacteur professionnel, NEMAN privilégie le point de vue de la « figure du « lecteur-navigateur-citoyen » (p. 160). L’A. se concentre plus particulièrement sur les pratiques de lecture du site Web de la CAF par un échantillon de 10 citoyens français.
Après avoir convié les notions théoriques de « translittératie », c’est-à-dire
« l’articulation, voire l’hybridation, des différentes littératies entre elles » (p. 162), d’« usage » et de « non-usage » numérique ainsi que
d’« encapacitation », l’A. détaille soigneusement la méthodologie suivie pour son étude qualitative exploratoire. Elle rappelle en particulier l’intérêt de l’emploi du « test utilisateur » pour éclairer l’aisance d’appropriation et d’utilisation des informations, et ce, à partir des pratiques propres aux citoyens qui consultent des sites Web. Toutefois, l’A. tient également à souligner la finalité spécifique du test utilisateur pour son étude : elle invite en effet chaque lecteur-navigateur-citoyen « à exprimer à voix haute ses actions comme ses impressions et autres sensations » (p. 166) pendant les trois scénarios de navigation du site de la CAF qu’elle a proposés. Autre particularité du dispositif de recherche mis en place par l’A. est la réalisation des scénarios en visioconférence afin de mesurer le niveau de littératie numérique.
Trois résultats majeurs sont issus de cette recherche exploratoire.
Le premier résultat concerne la mécompréhension des informations officielles sur le site, et ce, indépendamment des niveaux de translittératie des lecteurs-navigateurs-citoyens. Le sentiment d’égarement est mis en avant par la lecture-navigation désordonnée qui est causée par la quantité élevée d’informations présentes, par leur agencement sur la page (cf. les enjeux du design graphique dans la contribution de ROMAIN, TORCHOT, REY) et par leur qualité linguistique. L’A. toutefois observe que des stratégies de compensation sont mises en place par des lecteurs-navigateurs-citoyens à haut niveau de translittératie.
Le deuxième résultat est représenté par la dissonance entre les informations disponibles sur le site CAF et les informations obtenues dans l’écosystème informationnel propre à chaque lecteur-navigateur-citoyen. Cette dissonance a souvent été à l’origine d’attitude de méfiance vis-à-vis de la fiabilité des informations proposées par le site.
Le troisième et dernier résultat a mis en avant les disparités de translittératie. L’A. a constaté, d’une part, les difficultés liés à la littératie numérique, souvent compensées par les savoirs expérientiels et, à l’inverse, le manque de littératie citoyenne, à savoir d’expériences avec les services publics, par des lecteurs-navigateurs-citoyens ayant une bonne littératie numérique.
L’A. peut enfin conclure qu’ « en réaction à la discontinuité, à l’hétérogénéité et à la constante mutation de l’offre de services publics en ligne, les citoyens sont contraints de se sociabiliser sur chaque plateforme numérique pour développer un capital leur permettant de recourir à leurs droits de façon autonome, ou non » (p. 171). Au vu de cette conclusion, l’A. prône les chercheurs en rédactologie à se questionner sur le rôle joué par les administrations publiques « dans l’accompagnement et la médiation des translittératies e-administratives » (ibid.).
III. Du document à l’écosystème informationnel
Adeline MÜLLER, Thomas FRANÇOIS, “Les avancées en rédactologie influencent-elles les guides de rédaction claire en Belgique francophone? Une étude sur corpus”, pp. 177-192.
Cette étude qualitative et quantitative croisant l’analyse comparée de 3 guides de rédaction claire avec les données issues d’un corpus de 102 documents rédigés par les administrations en Belgique francophone ouvre la troisième partie de l’ouvrage. Les A. accordent une attention particulière à la micro-diachronie. En effet, les guides et les documents du corpus couvrent la période des années 1990 à 2021.
Pour commencer, les A. s’attardent sur la notion de « efficacité communicationnelle », en veillant à bien distinguer l’« efficacité informationnelle » associée à la clarté linguistique et l’« efficacité relationnelle » en lien avec la personnalisation et la relation entre destinateur et destinataire.
Après une brève présentation des 3 guides belges, les A. décrivent la méthodologie suivie. Les A. favorisent une réflexion élargie à la francophonie dans la mesure où les critères retenus pour l’analyse des 3 guides belges découlent de la typologie de conseils identifiée dans 21 autres guides francophones.
Les A. repèrent 5 niveaux de conseils qui structurent les résultats de l’interrogation manuelle et automatisée de l’ensemble des documents.
L’efficacité relationnelle est mise en avant dans les 3 guides essentiellement en ce qui concerne l’adresse au lecteur et donc la personnalisation de l’information. A ce propos, l’observation du corpus souligne plutôt la dépersonnalisation de l’accompagnement humain et personnalisé par une augmentation de renvois vers des centres d’appel ou sites en ligne. L’informalité s’accroît, d’après les A., au fur et à mesure du temps.
En ce qui concerne l’efficacité informationnelle du point de vue visuel, les A. constatent que les 3 guides se rejoignent sur l’utilisation de tableaux et de graphique pour accompagner l’écrit ainsi que l’utilisation de renvois. L’analyse manuelle montre l’augmentation du recours au visuel ainsi que de renvois hypertextuels depuis l’essor du numérique.
Pour les aspects macrotextuels, les 3 guides convergent, entre autres, autour de l’organisation de l’information et de son exemplification. C’est d’ailleurs l’ajout d’exemples concrets qui semble augmenter d’après le corpus constitué.
Au sujet de la syntaxe, les guides belges prônent, parmi d’autres aspects, une attention particulière à la longueur des phrases et à l’élagage des formes passive et négative des phrases. La réduction de la longueur des phrases est surtout observée par les A. dans les documents les plus récents du corpus. En revanche, le recours aux formes passive et négative relève davantage des caractéristiques des discours spécialisés évoqués par les documents, le domaine juridique demeurant le moins enclin à se passer de ces formes.
Quant au lexique, les trois guides suggèrent conjointement d’éviter la polysémie et la définition de termes. D’après l’analyse automatisée, les A. remarquent encore l’exception du domaine juridique où l’usage de termes semble d’ailleurs plus accentué dans les documents les plus récents du corpus.
Les A. concluent leur étude en pointant la manière dont les documents administratifs soignent davantage la personnalisation du point de vue de l’efficacité informationnelle alors que les échanges entre Etat et citoyens deviennent de plus en plus impersonnels et médiés par le renvoi à des sites Web.
Élodie BERTHET, “Le gouvernement français sur Instagram. Comment communiquer sur la crise de la COVID-19?”, pp. 193-205.
L’A. effectue une analyse de contenu de 182 posts au sujet de la Covid-19 publiés par le Gouvernement français sur son profil officiel Instagram de janvier 2020 à janvier 2021.
L’A. rappelle d’abord la multimodalité de la communication sur Instagram. Le visuel étant central, l’écrit joue son rôle dans la mesure où il favorise également la diffusion d’information par le biais de hashtags ainsi que l’interaction par les mentions. D’après l’A., ces outils guident l’interprétation du visuel.
Dans la partie théorique de sa contribution, l’A. convie également les notions de « clarté », « empathie » et de façon indirecte de « littératie » du lecteur-récepteur, notamment pour mettre en évidence leur importance dans le cadre de la communication en période de crise.
L’A. se livre ensuite à l’analyse de contenu des posts. Un faisceau de caractéristiques est pris en compte.
Pour ce qui en est du format, l’A. constate l’alternance assez régulière entre photographies et vidéos, ces dernières étant ou des infographies ou des récits mettant en scène des individus.
Quant aux termes, la présence de termes à haute fréquence pendant la pandémie Covid-19 est observée. C’est le cas de « geste barrière » ou de
« confinement », par exemple. En revanche, aucune occurrence de
« distanciation sociale » n’est mentionnée dans les posts.
La moitié des légendes écrites des posts renvoient vers des sites en guise d’apports d’informations complémentaires. La longueur des phrases est relativement courte et le recours à des listes à puces est souvent observé. Les hashtags sont utilisés de façon systématique et montrent, d’après l’A.,
« la volonté d’inscrire la communication dans des fils de publications thématiques afin de leur donner de la visibilité » (p. 199). Elle relève aussi bien la présence de « hashtags slogan », tels #JeResteChezMoi, que de hashtags ciblant des sujets particuliers, comme #ARNmessager.
Trois grandes formes de discours sont également identifiées par l’A. :
1) un discours explicatif (le plus récurrent) et essentiellement à visée pédagogique ;
2) un discours injonctif s’appuyant surtout sur un ton combatif et le recours au pronom « nous » ;
3) un discours narratif (le moins fréquent) tournant autour de l’action citoyenne et publique avec une visée ou empathique ou anxiogène.
En conclusion, l’A. met en avant les différentes postures gouvernementales lors de la crise sanitaire Covid-19 : « Quel que soit le type de discours, le gouvernement se veut ferme, pédagogue et mobilisateur ; parfois, il cherche également à rassurer ou à faire peur » (p. 204).
Isabelle SPERANO, Robert ANDRUCHOW, Luca PETRYSHYN, Vik CHU, “Expérience utilisateur et gouvernement numérique. Exploration d’une approche participative dirigée par la pratique afin d’identifier des perspectives de recherche”, pp. 207-225.
Contrairement à l’ensemble des contributions présentées dans cet ouvrage, ce chapitre s’apparente à un rapport technique détaillé de la phase initiale d’une recherche participative dirigée par la pratique en design d’expérience utilisateur.
La recherche a prévu la participation de chercheurs de l’Université MacEwan et de personnel du Service « Innovation and Performance » de la Ville d’Edmonton au Canada.
La contribution détaille soigneusement les étapes de la phase d’exploration se déroulant de juin 2019 à mars 2021.
Il n’est pas question dans ce chapitre de s’attaquer à des sujets ayant un lien explicite avec la rédactologie. En revanche, cette contribution a le mérite de montrer le revers de la médaille de toute collaboration portant sur la simplification et sur l’accès à l’information numérique administrative.
Les A. précisent les deux méthodes de collecte des données : les réunions entre chercheurs et personnels de la Ville d’Edmonton avec des entretiens non structurés et les questionnaires d’autoréflexion propres aux chercheurs.
La contribution se poursuit par le déroulement chronologique des différentes étapes : de la présentation mutuelle des parties prenantes à la mise en commun de connaissances en design d’expérience utilisateur jusqu’à la laborieuse signature d’un accord juridique veillant à protéger la confidentialité des données ainsi que la propriété intellectuelle de part et d’autre.
Il est intéressant de souligner comment l’enjeu de la confiance entre les partenaires est mis en avant par la référence à la régularité des réunions ainsi que par l’évaluation continue du bien-fondé et de la pertinence du partenariat.
Dans le cadre de ce dernier, les chercheurs ont identifié des perspectives pédagogiques et de recherche.
Quant aux premières, trois situations-problèmes rencontrées par la Ville d’Edmonton – la correction de la signalisation d’un service et d’une plateforme interne, la conception d’un formulaire – ont fait l’objet d’apprentissages par des étudiants avec succès.
En ce qui concerne les perspectives de recherche, les chercheurs ont repéré trois axes :
1) la documentation des partenariats entre université et industrie/administration ;
2) la place du designer d’expérience utilisateur dans le processus de digitalisation de l’administration ;
3) la normalisation des cartographies des écosystèmes informationnels.
La discussion finale proposée par les A. se focalise sur des points forts et de vigilance observés lors de cette phase d’exploration initiale. Entre autres, ils soulignent, d’une part, la force de la recherche participative dirigée par la pratique comme dispositif permettant la communication entre avancées scientifiques et pratiques professionnelles. D’autre part, ils remarquent le manque de généralisation des apports venant de cette démarche.
Éric KAVANAGH, Jacynthe ROBERGE, Laurence PAQUETTE, Anne Catherine VERRETTE, “L’écosystème informationnel (ESI) comme méthode d’intervention en design”, pp. 227-240.
La dernière contribution de la troisième partie reprend la thématique du design de communication et amplifie davantage la réflexion sur la formation des designers entamée par SPERANO, ANDRUCHOW, PETRYSHYN, CHU.
Les A. présentent en effet la démarche d’adaptation du parcours de formation des designers de communication à l’École de design de l’Université Laval par l’introduction de la notion d’ « écosystème informationnel » dans ce parcours. En effet, les A. soulignent combien les formations en design graphique ou de produits se concentrent exclusivement sur l’objet-document sans prendre en compte son contexte de production et de réception. Au vu de ce constat, ils décident d’intégrer la notion d’« écosystème informationnel » puisqu’elle « permet à la fois de fournir et de structurer la représentation du contexte global dans lequel (et souvent grâce auquel) existe l’artefact à l’examen » (p. 230).
Les A. détaillent le dispositif de formation mis en œuvre : 1h30 de cours magistral à l’aide d’un exemple (un automobiliste québécois à une station d’essence) pour illustrer la notion ; l’intégration d’un inventaire décrivant un écosystème informationnel en lien avec la tâche de correction ou de conception d’un document. Le but formatif a été de permettre aux étudiants de s’interroger sur l’ensemble des possibilités de design et, en général, sur la complexité de l’information externe à un document.
Suite à des entretiens de suivi individuels, les A. ont observé des retours positifs sur l’introduction de la notion d’écosystème informationnel par les étudiants. Ils ont en effet pu mieux comprendre le lien entre le document et son contexte. En revanche, les A. ont également constaté que l’appréhension de cette notion et son application dans la tâche de correction ou de conception d’un document, était marginale ou source de confusion, voire de frustration.
Ces constats ont mené les A. à repenser les modalités d’intégration de la notion d’écosystème informationnel et de se tourner vers les comportements d’information pour mieux justifier son application. Ils présentent une liste de principes sélectionnés parmi les comportements d’information afin de soumettre une nouvelle version de cette d’écosystème informationnel à leurs étudiants.
Céline BEAUDET, “Postface”, pp. 241-249.
La postface de l’A. dresse un bilan de grand témoin du colloque qui est à l’origine du présent ouvrage.
Dans sa postface, l’A. suggère également deux axes de recherche à poursuivre en rédactologie.
Le premier axe porte sur la représentation du lecteur/usager/navigateur, notamment sur la possibilité de comparer les littératies en différents contextes ainsi que sur le croisement entre matrices de rédaction (cf. VECCHIATO dans le présent ouvrage) et méthodologies réellement en œuvre par les administrations. À cet égard, l’A. affirme à bon escient
qu’« entre les expressions rédaction claire et simple et rédaction bienveillante, il y a un changement de perspective important. Peut-être même de paradigme » (p. 247).
Le deuxième axe se focalise sur le caractère multidisciplinaire de la formation des rédacteurs professionnels et sur la création d’une
« plateforme internationale, en langue française, consacrée à la didactique et à la pédagogie de la rédaction universitaire, professionnelle et
spécialisée » (p. 248).