Pascal HOHAUS (éds.), Science Communication in Times of Crisis, Benjamins (Discourse Approaches to Politics, Society and Culture, 96), 2022, 222 pp.
Comme le dit Pascal Hohaus dans son introduction intitulée Communicating science in crisis societies. Challenges across discipines, contexts and nations (pp. 1-14), il est possible de se demander si la communication scientifique peut être considérée comme une discipline faisant partie des sciences de la communication et comment les modèles établis depuis des années pourraient en rendre compte. L’une des distinctions acceptées concerne la communication scientifique interne au domaine, entre spécialistes ou professionnels de la même discipline, et externe, lorsque la communauté s’ouvre vers la sphère politique ou économique. Ce qui ne va pas sans problèmes, puisqu’une fois les connaissances délivrées par les spécialistes, elle continuent à être discutées et diffusées aussi par les non spécialistes, avec des interactions entre le grand public et les professionnels. Partant aussi de la supposition que nous vivons dans une société en crise, Hohaus s’interroge sur la manière dont la communication scientifique se comporte face aux différentes crises sociales qui se produisent. Le présent volume essaie donc d’explorer la « communication de crise » dans des situations « post-normales » (p. 3), d’un point de vue multidisciplinaire, dans des corpus et des langues différents – ce qui rend ces études d’un intérêt certain également pour les études de linguistique française, vu l’objectif de montrer l’importance des construire des ponts parmi les différentes cultures.
Le recueil est ouvert par deux articles qui s’intéressent au changement climatique.
Dans le cadre de la philosophie des sciences, en combinaison avec l’analyse du discours, Martin BÖHNERT et Paula RESZKE (Which facts to trust in the debate on climate change ? On knowledge and plausibility in times of crisis, pp. 15-40) s’occupent des systèmes épistémiques et du « fact-checking » à propos de la crise climatique actuelle, en comparaison avec la crise géocentrique du XVIIe siècle, et soutiennent que, même si les faits sont nécessaires dans la communication scientifique, ils ne sont pas suffisants afin de rendre plausibles des assertions ou des jugements qui, pour certains, assument des significations différentes, selon l’ensemble des croyances et des présuppositions de chacun, notamment pendant des crises qui mettent en cause les valeurs partagées.
Collin SYFERT (Letters to power : Authority appeals in the communication of scientific consensus, pp. 41-64) se place par contre dans le cadre de la rhétorique pour analyser le rôle des scientifiques dans la communication des savoirs scientifiques, contenue dans des lettres ouvertes dans lesquelles ils font appel au grand public et aux acteurs politiques. La dimension rhétorique de leur communication collective essaie d’engager le public et de défendre, par la construction d’un éthos de connaissance et de savoir, leur intégrité et crédibilité en temps de crise et de changement climatique, surtout face aux sceptiques qui accusent la « science mainstream » de s’aligner sur le pouvoir politique en charge.
La crise provoquée par la pandémie de COVID-19 retient l’attention des autres contributions, bien que sous des angles différents.
Deux articles prennent en considération le rôle des institutions nationales dans la communication scientifique externe et leurs exigences de forger des néologismes pour parler de la crise. Dans son étude terminologique, Lynne BOWKER (Pivoting to support science communication in time of crises : A case study of the Government of Canada’s Glossary on the COVID-19 pandemic, pp. 65-90) examine des exemples tires du glossaire bilingue du Bureau de la traduction du gouvernement canadien, publié avec l’objectif de faciliter non seulement la communication entre experts (interne), mais aussi celle (externe) des experts vers les non experts. Des choix non conformes aux règles conventionnelles de la pratique terminologique ont été effectués afin d’obtenir une « société scientifiquement éduquée », comme par exemple celui d’inclure dans le glossaire plusieurs sous-domaines et, à côté des « désignations préférées », aussi des termes déterminologisés et d’établir un certain degré de transparence terminologique, présentant des termes répandus dans l’usage général comme, par exemple, distanciation physique et déconfiner.
La néologie pandémique fait aussi l’objet de l’étude de Amal HADDAD HADDAD, COVID-19 neologisms between metaphor and culture : A multilingual corpus-based study (pp. 91-117), qui propose une étude systématique de termes à base métaphorique et culturelle dans les discours en ligne autour la pandémie (en trois langues : anglais, espagnol, arabe). L’auteure s’intéresse aux facteurs qui rendent plus rapide la terminogenèse en temps de crise, notamment la création de termes métaphoriques (comme par exemple, zoom-bombing ou coronapocalypse) qui semblent faciliter la compréhension rapide de termes complexes et assumer donc un rôle didactique et cognitif. S’il est vrai que bon nombre de néologismes primaires et secondaires subissent l’influence très forte de l’anglais, il apparait aussi un certain lot de termes issus directement des autres langues-cultures considérées.
La terminogenèse et le traitement des termes liées à la pandémie de COVID-19 n’est pas le seul sujet qui retient l’attention : les stratégies persuasives à soutien de la campagne de vaccination – qui a dû faire face à une opposition acharnées – fait l’objet des deux contributions qui suivent.
Dina ABDEL SALAM EL-DAKHS (Persuasion in health communication : The case of Saudi and Australian tweets on COVID-19 vaccination, pp. 119-141) compare 200 tweets institutionnels dans le but de comprendre par quelles stratégies les gouvernements concernés essaient de persuader les citoyens à se vacciner contre la COVID-19. Il en résulte un recours généralisé à la construction de l’éthos, bien que par le biais de stratégies différentes, mais alors que le gouvernement australien privilégie la persuasion logique et l’emploi de questions, celui saoudien ajoute également des éléments pathémiques et religieux : ce qui montre l’importance d’une approche cross-culturelle à la communication sanitaire et médicale.
Pour leur part, Katarzyna MOLEK-KOZAKOWSKA et Sofiia STRUCHKOVA (Communicating risks of an Anti-COVID-19 vaccine in Poland : A comparative case study of content, style and advocacy of three media outlets, pp. 143-167) analysent la controverse éclatée autour du vaccine AstraZeneca en 2021, afin de mesurer combien de contenu scientifique on lit effectivement dans les articles publiés par plusieurs médias et comment on communique à la fois le risque lié à la vaccination et sa défense. Il en résulte une tendance au sensationnalisme (« media panics », p. 147), à l’exagération des risques et de l’incertitude générés par les vaccins, exploités afin d’attirer le grand public et donc le profit économique. Cependant une lecture attentive montre que même si les articles s’appuient à des sources fiables, telles les voix institutionnelles et médicales, c’est le débat continu et sans solution autour di dilemme – se vacciner ou pas – qui maintient l’attention du public.
Le rôle des médias en temps de crise fait également l’objet de l’étude de Zeynep Cihan KOCA-HELVAC1, (“Coronavirus as a political weapon”. The COVID pandemic through the lens of the US Alt-Right Media, pp. 169-195), qui analyse le discours autour de la COVID-19 de la droite alternative américaine. Une représentation discursive de la crise non seulement comme sanitaire, mais surtout comme un conflit politique, comme une conspiration déclenchée contre les « blancs », transforme les restrictions sanitaires en mesures de protection des groupes autochtones contre l’immigration. Ce qui montre que la présence de polarisations fortes dans une société interfère de manière négative dans la communication scientifique et finit par politiser aussi une pandémie.
La communication politique revient enfin dans la contribution conclusive par John M. CALLAHAN et Robert JENSEN (Science Versus ? – The US response to the COVID-19 pandemic, pp. 197-219) qui soutiennent qu’en temps de crise la communication scientifique devrait répondre à certains critères établis. La communication sur la pandémie aux États-Unis de l’époque Trump, fortement politisée, s’est par contre révélée trop centrée sur les élections et l’économie et, selon les auteurs, a ignoré les « plans de communication » préexistants qui prévoyaient des procédures à suivre dans les 72 heures après la survenance d’une crise. Ce qui a provoqué un retard dans l’information médicale qui n’a pas pu atteindre le grand public en temps utile.
[Chiara PREITE]