Yannick HAMON et Paola PAISSA (dir.), Discours environnementaux. Convergences et divergences, Rome, Aracne, 2023, pp. 256.
L’ouvrage, qui se compose de douze contributions, s’insère dans la collection « Lingue d’Europa e del Mediterraneo », coordonnée par Giovanni Agresti et Henri Giordan. Dès la préface (pp. 7-13), signée par le premier, fondateur de la Linguistique du Développement social avec son essai Diversità linguistica e sviluppo sociale (Milano, FrancoAngeli, 2018), apparaît évident le but essentiel de l’ensemble des analyses : offrir des pistes de réflexion pour effacer le hiatus entre dimension linguistique et dimension sociale, à l’origine d’une dérive négative, à savoir le peu de considération de la langue en tant que facteur de bien-être ou de malaise. Un aspect qui, susceptible d’entraîner une opacité de l’interaction communicative (ibid., p. 56), est loin d’être négligeable pour le linguiste du discours. Or, si la « perdurance du paradigme », dans ce cas l’inaction climatique, se révèle liée à une stratégie fondée sur l’évitement discursif, on doit aussi remarquer que l’état présent contient en soi les antidotes à sa remise en question éthique, au point que tout progrès technique est envisagé comme un progrès tout court et qu’il est mis au service d’une censure étouffant tout discours subversif. L’attention prêtée au choix des mots et la démystification des rhétoriques manipulatrices peuvent contribuer à construire une nouvelle narration collective, apte à contourner « le complexe de Dom Juan » (p. 9), attitude qui dément tout changement proactif.
L’urgence d’un questionnement des linguistes dans les débats publics et d’une remise en cause de certaines prémisses socio-épistémologiques est également au cœur de l’introduction (p. 15-29), rédigée par Yannick Hamon et Paola Paissa, qui dirigent l’ouvrage. Par le biais de leurs compétences, dans les domaines, respectivement, de l’utilisation des technologies appliquées à la formation et à la traduction pour le premier, et de la rhétorique et de l’analyse du discours pour la seconde, coordinatrice du groupe de recherche Analyse du discours – DORIF, les auteurs tracent le parcours de recherche qui oriente l’ensemble des contributions. Comme, de nos jours, les questions environnementales catalysent à la fois le quotidien du particulier et les sphères sociales, politiques et économiques, face à des postures opposées, telles que l’alarmisme et le négationnisme, chaque individu, qu’il soit consommateur ou décideur, est appelé à s’interroger. Les deux chercheurs, en présentant les différentes contributions, identifient trois volets : l’impact de l’action humaine sur le climat, la diffusion plurimédiale des discours environnementaux et les classifications de ces discours. Ils proposent aussi des éléments de réflexion en guise de conclusion, dont nous fournirons une synthèse après avoir indiqué les fils conducteurs de chaque contribution.
Laurence Vignes ouvre la première partie, Environnement et réchauffement climatique, avec une étude intitulée Réchauffement climatique, risque d’accident : le discours dissonant des instances nucléaires françaises (pp. 33-48), qui se focalise sur le constat suivant : « le nucléaire est la troisième filière française, après l’aéronautique et l’automobile » (p. 35). Cet état des lieux se révèle fondamental pour suivre l’argumentation mise en œuvre par la communication publicitaire d’EDF, qui dès 1946 est devenu le seul producteur et distributeur d’électricité en France. Par le biais de la sémiologie et de l’analyse du discours, la stratégie argumentative du fait accompli est mise à nu : le nucléaire est là et il est utile. Les catastrophes de Tchernobyl et, ensuite, celle de Fukushima, ont posé un problème supplémentaire en termes d’acceptation de cette forme d’énergie : face à la perception d’une possibilité concrète d’accident nucléaire dans un pays avancé comme la France, le discours promotionnel vise à rassurer l’opinion publique et à montrer qu’EDF n’ignore pas les dangers. Il en découle une image positive de l’énonciateur, revendiquant un évident engagement dans la sécurité et, partant, non passible d’accusations de légèreté en cas de problèmes. On constate ainsi que la mise en discours d’outils rhétoriques opposés, tels que la banalisation du nucléaire et la reconnaissance du danger, aboutit au maintien du système mis en place.
Anneliese Depoux, François Gemenne et Olivier Aïm, s’interrogent, quant à eux, dans Le changement climatique au regard de la crise de la Covid. Croisements narratifs et intersections pragmatiques (pp. 49-62), sur d’autres convergences, qui se tissent entre changement climatique et pandémie de la Covid-19. En premier lieu, il s’agit de crises de portée mondiale, en second lieu, ces crises elles-mêmes entraînent la mise en place de véritables campagnes de sensibilisation justifiées par les menaces dont elles sont porteuses. D’ailleurs, une divergence se profile : dans la perception commune, il apparaît que les mesures restrictives assumées par la population lors du confinement sont liées à la crainte de contracter le virus par voie de contagion, contagion qui n’est pas envisagée dans l’optique de la problématique environnementale. Cette remarque encourage à adopter un nouveau paradigme narratif : étant donné que les gens semblent plus enclins à modifier de manière radicale leurs comportements face au risque de compromettre leur santé, il est légitime d’avoir recours à l’argument sanitaire aussi pour les sensibiliser au changement climatique. Ce dernier ne serait plus vu comme une « crise », mais comme un danger immédiat de transformation irréversible affectant l’humanité et la planète. Cette approche communicationnelle dessine une convergence entre les deux thèmes au niveau de la représentation médiatique, mais aussi sur le plan psychologique, dès lors qu’une nouvelle pathologie de représentation se fait jour : celle de l’éco-anxiété.
L’étude d’Erica Lippert, Discours écologiques médiatiques : l’exemple de la communication présidentielle française sur le Mont-Blanc (pp. 63-74), applique les outils de l’analyse du discours, par le biais du logiciel Tropes, au contenu polysémiotique du discours écologique émanant d’une vidéo mise en ligne (le 16 février 2020) sur le profil YouTube du président Emmanuel Macron. Ce document relève, à la fois, du documentaire pédagogique, visant à renseigner le grand public sur la diminution du glacier du Mont-Blanc, et d’une démarche pragmatique, apte à construire l’éthos du chef de l’État, qui, entouré de spécialistes, se présente en tant que protecteur de l’environnement français dans son ensemble et en tant que légitime détenteur du pouvoir exécutif. L’analyse des pronoms personnels les plus représentés est significative : si le pronom « on » est dominant et, de par sa plasticité, suggère un appel à la participation, cependant, dans certains passages (« on surexploite les ressources »), il risque de susciter un sentiment de culpabilité dans l’esprit des destinataires ; par contre, l’usage récurrent du pronom « je » souligne l’attitude volontariste du président, censé être le véritable héros de la lutte pour le changement.
La contribution de Francesco Attruia et Stefano Vicari, Polémiques et propos haineux dans les mèmes Internet autour de Greta Thunberg (pp. 77-100) ouvre la deuxième partie de l’ouvrage : Discours environnementaux sur les médias numériques. Les mèmes qui tournent en ridicule l’activiste Greta Thunberg font l’objet d’une analyse qui considère que cette forme de communication numérique porte non seulement sur la description d’aspects sociaux donnés, mais aussi sur la co-construction d’opinions et d’idées reçues, notamment à travers les outils rhétoriques de la parodie et de l’hyperbole. Les ressources de la syntaxe sont également exploitées : c’est surtout la coordination qui contribue à figer des moules syntaxiques à partir d’une même photographie ou d’une même caricature. L’anonymat de ces éléments discursifs, qui rebondissent et se modifient sur la Toile, engendre des conséquences non négligeables sur le plan linguistique : on est face à une déresponsabilisation de l’énonciateur qui entraîne, à son tour, l’organisation d’un discours antagoniste, fondé seulement sur la critique de la jeune fille suédoise, mais incapable de proposer une argumentation alternative. Le discours de haine (jusqu’à l’insulte) est aussi élucidé à travers l’analyse des techniques visant à restituer l’image d’un personnage hypocrite et manipulé, sans vraiment proposer des réponses aux questions soulevées par le mouvement écologiste. Dans cette optique, il est significatif que les détracteurs ignorent le fait que Greta ait attaqué directement, en tant que pays polluants, cinq états européens (et non la Chine et l’Inde), « parce qu’ils ont tous signé en 2014 la Convention internationale des droits de l’Enfant, qui permet aux enfants d’attaquer l’un des signataires s’il ne tient pas ses engagements » (p. 94).
Laura Santone, dans À vélo entre politique, publicité et web : co-construction du sens et responsabilité collective (pp. 101-116), se penche, quant à elle, sur les aspects sémiotiques et discursifs étayés par la campagne publicitaire du programme Coup de puce vélo, mise en place par le Ministère de la Transition écologique et solidaire à partir de mai 2020 pour favoriser l’usage du vélo ainsi que la sortie du confinement. La communication numérique est de nouveau mise en perspective, mais cette fois du côté institutionnel. Dans ce cas aussi, la surreprésentation d’un pronom personnel (« nous ») et de l’adjectif possessif correspondant fait signe : les destinataires se sentent inclus dans le combat pour le changement. L’étude envisage aussi les retombées du plan vélo sur les textos de Twitter, considérant que « l’hashtag, en vertu de sa vocation socio-relationnelle, peut être considéré comme un marqueur de mobilité empathique » (p. 111). Le déferlement de messages des twitteurs met en lumière le dynamisme de la communauté des internautes aussi bien qu’une attitude « extimisante » (cf. Tisseron, 2001), à savoir une exposition de soi dans le but de partager des pratiques sociales avantageuses pour soi et pour les autres. Ces résultats font état de la valeur fédérative et mobilisante du sentiment de l’appartenance à une citoyenneté étendue au monde entier.
Claudia Cagninelli revient sur Twitter et sur le sujet de la pandémie avec Qu’en-est-il de la question écologique face à la covid 19 ? Positions et stratégies communicatives sur Twitter (pp. 117-140) : la notion d’environnement s’est élargie au domaine numérique qui préside à la naissance des techno-discours. Autrement dit, l’analyse des éléments discursifs des twitteurs ne peut se passer des algorithmes qui contribuent à les organiser. Le corpus choisi a été obtenu par la délimitation d’un sous-corpus présentant le thème de la Covid-19 à l’intérieur d’un corpus majeur, isolé à partir de la mention du changement climatique, en prenant en considération treize mois (début décembre 2019 – fin décembre 2020) pour mettre en rapport l’évolution des positions avec l’évolution pandémique. Le domaine délimité comprend ainsi un échantillon de 28.950 tweets, marqué par la coprésence des deux thématiques. Par le biais d’une analyse sémantico-discursive implémentée dans le logiciel Iramuteq, qui opère d’après une logique binaire (présence / absence), se font jour des convergences : « les fréquences mensuelles de l’expression crise climatique coïncident presque parfaitement avec celles de crise sanitaire, reflétant en outre la distribution globale de crise » (p. 135). Les classifications lexicales répertoriées permettent de remarquer deux polarisations axiologiques : d’une part l’opposition entre une vision catastrophique de l’avenir et une attitude proactive ; d’autre part, l’opposition entre une attitude sceptique et une reconnaissance de responsabilité, qui considère ces deux « crises » comme un levier apte à sensibiliser l’opinion publique sur maintes questions négligées.
En conclusion de la deuxième partie, l’étude de Sandrine Reboul-Touré, Biodiversité et blogs de vulgarisation scientifique : des discours hybrides pour la transmission des connaissances (pp. 141-158), en s’appuyant sur la base de données d’actualité internationale Factiva, questionne les notions d’écologie et de biodiversité, considérant ce dernier comme un « mot-témoin », c’est-à-dire un mot censé symboliser un dynamisme et un changement (p. 146). L’analyse des différents genres de blogs qui s’occupent de questions environnementales met en lumière une convergence tendant vers une approche de plus en plus participative : la modalité du crowdsourcing dans les blogs des chercheurs crée un lien entre recherche et communauté citoyenne, les articles des journalistes scientifiques sont commentés et partagés, un style informel caractérise les blogs des amateurs, qui s’adressent à d’autres non-spécialistes. L’article prône une analyse contrastive entre blogs en langues différentes pour dégager la manière dont est appréhendé le discours environnemental.
La troisième partie, Discours des organisations, s’ouvre sur la contribution de Florimond Rakotonoelina : Transtextualité sur les sites des organisations non gouvernementales environnementalistes : stratifications et maillages discursifs de l’information (pp. 161-178), qui reprend à son compte le concept de transtextualité de Genette (1982) pour décrire les structures complexes de trois sites Internet environnementaux représentatifs pour le territoire français en 2021 : WWF France, Greenpeace France et Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme. En ce qui concerne la strate paradiscursive, le chercheur relève la présence de trois axes : identité, domaines de prédilections et appels à l’action. La strate interdiscursive correspond à la coprésence de textes différents qui forment un maillage cohérent au sein d’un même site. Le cas de la strate hyperdiscursive est intéressant : un hypotexte peut réapparaître, y compris dans un autre support numérique, dans plusieurs hypertextes, dérivant par transformation ou par imitation, et parfois adaptés selon le public visé. La strate métatextuelle est particulièrement prégnante car il s’agit d’une relation de commentaire entre un texte et un autre qui le commente. Les réseaux sociaux ayant engendré l’ère du commentaire, il faut souligner que ce sont souvent des échos de l’actualité qui déclenchent des commentaires en cascade, visant à impliquer l’internaute. D’où la possibilité d’approfondir la genèse des techno-discours.
La contribution d’Élodie Vargas, Publicités greenwashing vs discours environnementaux : quelles convergences, quelles divergences ? (pp. 179-200), se propose de démêler la question de la différence entre discours environnemental au sens propre et discours empreint d’écoblanchiment, à partir d’un corpus regroupant des publicités online et en papier (françaises, italiennes, anglaises, américaines et allemandes) dans un laps de temps de plus de 30 ans (1990-2021). Une convergence se dessine à propos des solutions envisagées d’habitude, qui peuvent renvoyer à deux pôles, respectivement axés sur l’humain (l’appel à l’action) et sur la technologie (en passant sous silence « le paradoxe reposant sur le fait que la science et les innovations scientifiques / technologiques ont créé la situation climatique négative actuelle », p. 189). En revanche, les discours publicitaires greenwashing insistent sur le champ lexical du « besoin » (d’énergie) et proclament un investissement concret qui ne correspond pas à la réalité. L’exemple le plus marquant est représenté par l’argumentation qui régit la légitimation du nucléaire : à partir d’une prémisse majeure (le réchauffement climatique est dû aux émissions de Co2) et d’une prémisse mineure (l’énergie nucléaire ne dégage pas de Co2), l‘industrie nucléaire arrive à déclarer que le nucléaire ne serait pas polluant, en faisant totalement abstraction des dangers qu’elle comporte et des déchets qu’elle implique. Autrement dit, « la subtilité est de parler vrai pour que l’on pense faux » (p. 196).
Sandrine Graf et Albin Wagener, dans Un moteur pour l’innovation : l’environnement comme ressource symbolique mesurable dans les discours corporate des entreprises (pp. 201-222), se focalisent sur le discours corporate, à savoir le discours de l’entreprise sur elle-même. Le corpus comprend 51 sites d’entreprises françaises mandataires pour les appels à projets urbains innovants. L’analyse, qui s’appuie aussi sur les logiciels Iramuteq et Wordsmith, met en évidence la prépondérance des aspects techniques : l’investissement dans le développement durable est présenté comme une action liée à la capacité de modernisation de l’entreprise. Le recours à des prépositions ou à des termes relevant du champ lexical du but accroît la dimension axiologique tout comme la dimension proactive, si bien que le discours se projette dans une posture morale qui abolit toute vision contradictoire et réduit l’environnement à un élément symbolique exploité en fonction de son pouvoir légitimant.
Du contexte d’entreprise on passe au milieu associatif dans l’étude de Jana Altmanova et Sarah Pinto, Les discours des associations contre le réchauffement climatique : discours d’adhésion et d’exhortation à l’action (pp. 223-238). La référence théorique est celle de la sémantique discursive, qui est appliquée à l’analyse des parties stables d’un échantillon de sites afférant au Réseau Action Climat. Il en ressort la coprésence de deux genres de discours, finalisés, respectivement, à l’appel à l’action et à l’autopromotion. D’ailleurs, du point de vue sémantique, ces deux visées se reflètent dans la présence de deux isotopies : d’une part, l’action, d’autre part, l’adhésion, à appréhender dans sa nature polysémique. Le recours au pronom personnel « nous » contribue à renforcer le désir d’identification et l’appel à la lutte. L’emploi d’adverbes de temps souligne à la fois l’urgence d’agir et l’option d’un avenir plus équitable. Les discours des associations partagent certaines caractéristiques propres au discours promotionnel, comme la création de slogan.
La dernière contribution, L’environnement irrésolu : socio-épistémologie des questions environnementales et de leurs itinéraires discursifs et sociaux (pp. 239-256) de Lionel Charles, forme une section à part entière : Mise en perspective pluridisciplinaire. Après avoir reconstruit l’évolution de la notion d’environnement, terme de l’ancien français qui réapparaît dans la langue par le biais de l’anglais environment en 1912, l’auteur en souligne la portée disruptive par rapport à l’anthropocentrisme dominant de la culture occidentale, fondé sur l’approche philosophique de matrice grecque. De nos jours, face à des crises de portée internationale, telles que la pandémie et la guerre en Ukraine, la société civile est appelée à s’interroger sur la complexité de la polysémie du concept et sur son caractère indéterminé, ouvert et irrésolu, selon l’acception de la philosophie de K. Popper. La configuration de ce nouveau paradigme biocentrique peut contribuer à orienter l’action humaine dans une perspective d’interdépendance, apte à récupérer le lien, ancestral, entre éthique, nature et santé et à contrecarrer le monopole exercé sur l’environnement par des techniciens porteurs d’une représentation environnementale abstraite et parcellisée.
Reprenant brièvement les conclusions anticipées dans l’introduction par Yannick HAMON et Paola PAISSA, on peut avancer que la mise en perspective des discours environnementaux témoigne du potentiel euristique inhérent à l’analyse du discours et rend évident le paradoxe d’un arsenal argumentatif qui risque de multiplier les appels à un engagement reporté à jamais et de perdre le contact avec les collectivités à cause d’une responsabilisation tout aussi étendue qu’anonyme. La formule de développement durable résume dans son chiasme sémantique la résistance du paradigme consumériste, qui semble doté d’une sorte d’homéostase garantissant le maintien de l’ « ordre » établi.
[Silvia FERRARI]