Lorella SINI, Francesca BISIANI, (dir.), La réception de l’analyse du discours de l’école française en Italie. Parcours croisés, Synergies Italie, n. 20, 2024, pp. 233.
Le numéro 20 de la revue Synergies Italie coïncide avec la célébration de ses vingt ans d’activité qui, comme le montre Maria Margherita Mattioda dans son Éditorial. Pour une francophonie scientifique active. Synergies Italie, 20 ans après (pp. 9-16), témoignent d’un travail « intense et passionné » (p. 12) qui s’appuie sur « un principe de partage des savoirs » et sur une « mission de valorisation de la recherche scientifique des francophones et des francophiles dans le contexte italien » (p. 10). Le présent dossier, La réception de l’analyse du discours de l’école française en Italie. Parcours croisés, reste fidèle à ces prémisses. En tant que coordinatrices de la parution, dans la Présentation du numéro (pp. 17-29) Lorella Sini et Francesca Bisiani définissent les fondements et les objectifs de différentes contributions, qui sont consacrées principalement à la « réception en Italie de l’analyse du discours telle que l’a théorisée l’école française » (p. 17).
Dans le vœu de vulgariser « ses notions dans plusieurs domaines » (ibidem), vu que l’analyse du discours repose dès ses origines sur une visée interdisciplinaire, l’essai de Paola Paissa, L’Analyse du discours « à la française » dans la patrie de l’humanisme : l’expérience décennale du groupe d’analyse du discours du Centro di documentazione e di ricerca per la didattica della lingua francese nell’università italiana (pp. 33-55), introduit la première section du numéro – Réflexions sur l’implantation de l’analyse du discours à la française en Italie – en s’interrogeant sur la place qu’une telle approche pourrait occuper dans un contexte national et international. L’auteure prend comme point de départ les nombreuses études et activités réalisées par l’équipe de recherche AD Do.Ri.F. qu’elle dirige et propose une ouverture à la croisée de langues, de cultures et de disciplines différentes, « au-delà du cercle restreint des francisants » (p. 48).
Le caractère fort opératoire des outils de l’analyse du discours d’expression française (dorénavant ADF) est mis en évidence par Giacomo Clemente qui, dans A partire dall’analisi del discorso. Cinque tesi sulla soggettivazione significante (pp. 57-76), examine l’essai de Searle, A Taxonomy of Illocutionary Acts, en se penchant sur « le processus de subjectivation à partir de la notion de préconstruit » (p. 57). Cette étude se situe dans le prolongement de la notion d’« interpellation idéologique » élaborée par Althusser et des notions de « préconstruit » et de « présupposition », introduites – respectivement – par Pêcheux et par Ducrot.
La diffusion du cadre théorique et méthodologique de l’ADF a été encouragée par un projet de traduction touchant les ouvrages de la seconde génération. La deuxième section du numéro –Traduire l’analyse du discours en italien : enjeux et difficultés – est vouée à l’examen des solutions adoptées dans la langue cible face aux problématiques qui caractérisent la restitution des notions relatives à ce domaine. La traduction italienne du livre Apologie de la polémique de Ruth Amossy, parue en 2017 chez Mimesis, est l’objet de la contribution de Sara Amadori, La migration traductive de la pensée de l’analyse du discours dans le contexte italien : une étude de cas (pp. 81-97). Après avoir défini les principes qui fondent la réflexion de l’auteure du texte source, qui est « l’une des principales représentantes au niveau international de l’ADF » (p. 83), la traductrice s’arrête sur les modalités de traduction qui ont caractérisé son travail et qui visent à la préservation et à la divulgation de la terminologie parfois novatrice de l’ADF et à l’intelligibilité de corpus « profondément imprégnés par la réalité sociale, politique et culturelle française ou israélienne » (p. 85). Afin de combler le décalage entre la langue-culture de départ et la langue-culture d’arrivée, Amadori recourt à des notes de bas de page, à certains procédés de la traduction directe, tels que l’emprunt ou le calque et à des explicitations « permettant au public cible de bien saisir la signification des textes qui forment le corpus examiné par l’analyste » (p. 95).
En 2022, la traduction italienne de l’ouvrage Prédiscours. Sens, mémoire, cognition de Marie-Anne Paveau a été publiée auprès des éditions Tab de Rome, dans la collection Traduco, coordonnée par Rachele Raus, collection qui a pour but « non seulement d’étudier les théorisations des analystes français [et] de décliner leur pensée dans la langue-culture cible », mais aussi d’« alimenter un glossaire de notions de l’ADF sur le modèle du Dictionnaire d’analyse du discours » (Sini et Bisiani, p. 25) de Patrick Charaudeau et de Dominique Maingueneau. Cette traduction, ainsi que l’article qui la concerne, Choix et problèmes de traduction du livre Prédiscours. Sens, mémoire, cognition de Marie-Anne Paveau (pp. 99-199), est le fruit d’un travail à quatre mains et se situe au carrefour de ces deux visées. À partir d’un examen approfondi de l’original, Silvia Modena et Stefano Vicari accordent une attention particulière à la notion de « prédiscours » et des concepts qui la côtoient et proposent une traduction des observables qui passe par la lecture critique « [de] la terminologie déjà adoptée dans les textes des auteurs étrangers, français et anglophones, cités dans l’ouvrage et déjà traduits en italien (Foucault, Lacan, Goffman, etc.), mais aussi [de] la terminologie linguistique attestée dans les études pragmatiques, sociologiques et sémiotiques menées en Italie » (pp. 115-116). Ainsi faisant, ils cherchent à intégrer dans la « boite à outils » de la pragmatique italienne non seulement une notion, mais aussi et surtout une pensée qui s’étend à la dimension cognitive, le plus souvent négligée.
Comme le révèle le titre, Autour de la diffusion de l’analyse française du discours en Italie : traduire un ouvrage de Patrick Charaudeau (pp. 121-143), la contribution d’Alida Maria Silletti traite de la transmission des connaissances de l’ADF au public italien à travers la traduction de La manipulation de la vérité. Du triomphe de la négation aux brouillages de la post-vérité de Patrick Charaudeau, publiée par les éditions Tab en 2021. Compte tenu du fait que « les exemples auxquels Charaudeau a recours relèvent du contexte sociopolitique, académique et publicitaire français […] mais ils puisent également dans l’histoire, dans les traditions populaires nationales françaises » (p. 130), Silletti accorde une importance prioritaire au niveau de familiarité que le lecteur-cible est supposé avoir avec la culture de départ. En ce sens, les choix traductifs auxquels elle parvient consistent – notamment – dans des transpositions, des expansions et des notes explicatives. En outre, elle s’engage dans « l’enrichissement du glossaire des notions de l’analyse du discours traduites en italien » (p. 139), ce dernier étant l’un des objectifs de la collection Traduco dans laquelle sa traduction est insérée.
La troisième section – Varia – considère l’analyse des discours non-inclusifs qui continuent à produire, à l’ère actuelle et malgré les nouvelles réglementations législatives, des représentations discriminatoires à l’égard des femmes et des minorités. L’article de Michela Tonti, L’annotation humaine au croisement de l’intelligence artificielle et de l’écriture inclusive : le dispositif Inclusively (pp. 147-178), s’insère dans le cadre du projet européen E-MIMIC (Empowering Multilingual Inclusive comMunICation) qui, « à partir de critères discursifs inspirés de l’ADF » (Sini et Bisiani, p. 26), vise à « éliminer les préjugés et la non-inclusion dans les textes administratifs rédigés dans les pays européens, à commencer par ceux qui sont rédigés dans les langues romanes » (Rachele Raus et al., in ibidem). L’application Inclusively, qu’ont développée l’École Polytechnique de Turin et l’Université de Bologne, cherche à « traduire automatiquement des textes institutionnels non inclusifs dans un langage institutionnel inclusif » (p. 157) à l’aide de trois langues, l’italien, l’espagnol et le français. Dans sa contribution, Tonti présente une étude pilote penchée entièrement sur la langue française et, ayant constaté « que l’administration publique française applique la règle du masculin générique, ce qui amène à produire des textes à l’écriture non inclusive » (p. 166), elle propose plusieurs stratégies de reformulation, qui valorisent aussi le profil de l’annotateur.
Dans Négocier les catégorisations raciales. Une analyse critique des discours sur les tests génétiques de généalogie (pp. 179-204), Julie Abbou s’intéresse à l’analyse critique des résultats des tests ADN commercialisés par maintes d’entreprises, telles que MyHeritage, 23&Me ou AncestryDNA. Tout en étant largement critiqués par plusieurs chercheurs en génétique et interdits dans certains pays comme la France à cause de leurs fondements non scientifiques et discriminants, ces tests continuent à constituer un attrait pour le public. Abbou se propose alors d’examiner « le caractère discursif de la race » (p. 184) dans un corpus de vidéos francophones, où les youtubeurs mobilisent des catégories spécifiques et se livrent à des commentaires parfois discutables.
Le numéro 20 de la revue Synergies Italie se complète, enfin, par deux comptes rendus rédigés – respectivement – par Roberto Dapavo (pp. 207-212) et par Magali Dillenseger (pp. 213-217). Le premier concerne le volume Langue française et communication numérique à l’ère des médias sociaux. Identité, créativité lexicale et convergence (socio)linguistique (2021) de Vincenzo Simoniello. Le second porte sur le hors-série Oral en didactique du FLE et expérientiel : questionnements et perspectives (2023) coordonné par Patricia Kottelat.
[Paola Anna BUTANO ]