Driss ABLABLI, Guy ACHARD-BAYLE (éds.), French Theories on Text and Discourse, Berlin/Boston, De Gruyter, 2023, p. 286.
Le volume intitulé French Theories on Text and Discourse a été publié sous la direction de Driss Ablali et Guy Achard-Bayle, par les éditions De Gruyter. Il s’agit d’un volume qui permet de décrire les tendances actuelles de l’analyse du discours et de la linguistique textuelle en contexte francophone. Les auteurs, en prenant en considération les approches de l’analyse du discours, à partir de Halliday pour arriver à Van Dijk, Wodak et Fairclough, tentent d’explorer la dichotomie entre texte et discours. Ce volume s’ouvre avec l’Introduction intitulée Language/speech vs. text/discourse : A « family resemblance « ? (p. 1-17), rédigée par Driss Ablali et Guy Achard-Bayle. Cette ouverture permet aux auteurs de s’interroger sur les concepts de « langue », « discours » et « texte » à partir de Saussure, qui est considéré comme le pionnier de la théorie du discours. Ensuite, les auteurs tracent une brève histoire des théories sur le texte et le discours après Saussure et fournissent une description de chaque article du volume.
L’ouvrage présente trois sections principales : la première Text-discourse links (p. 21-129) aborde la problématique du texte et du discours en montrant l’interdépendance entre l’analyse du discours et la linguistique textuelle ; la deuxième Text epistemologies (p. 133-204) met l’accent sur l’épistémologie du texte et du sens textuel et la troisième Epistemologies of discourse – and beyond (p. 207-278) montre les liens entre le texte, le discours et les épistémologies textuelles en sollicitant d’autres domaines d’études, notamment la littérature, l’argumentation et la stylistique.
La première section contient cinq contributions qui s’articulent de la manière suivante :
Jean-Michel Adam, « Micro-level, meso-level and macro-level of textual structuring and complexity », p. 21-55. L’article de Adam apporte une contribution aux théories du texte et du discours par le rapprochement de deux approches, notamment la linguistique textuelle et l’analyse du discours. Plus spécifiquement, l’auteur propose un modèle visant à intégrer plusieurs structures textuelles qui concernent le niveau micro-discursif (à savoir la phrase), le niveau méso-discursif (autrement dit la période et la séquence) et le niveau macro-discursif (c’est-à-dire le texte). À partir de la délimitation de ces structures textuelles, l’auteur met en évidence l’importance des genres discursifs au sein de la textualisation.
Michel Charolles, « ‘Framing adverbials’ as markers of discourse organization », p. 57-76. L’article de Charolles porte sur les outils qui garantissent, au sein d’un discours, la cohérence et la cohésion. À cet égard, l’auteur examine plusieurs éléments comme les connecteurs logiques (p.ex. certainement, en effet, en fait) et les anaphores (p.ex. les pronoms personnels) en mettant en évidence le rôle joué par les framing adverbials, fr. cadres adverbiaux. Ces derniers sont des éléments qui introduisent les phrases prépositionnelles en créant un cadre discursif (discourse frame) où la valeur de vérité est régie par ces introducteurs textuels. En ce qui concerne les textes scientifiques, il s’agit, par exemple, des éléments comme in many mollusks, in insects, in mammals, in superior organisms qui délimitent un espace de sens. En revanche, au sein des textes littéraires, l’auteur observe des éléments comme one day, that evening, three days after, in summer et ainsi de suite.
Guy Achard-Bayle, « Text, discourse, cognition », p. 77-94. La contribution de Achard-Bayle vise à définir trois notions complémentaires : le texte, le discours et la cognition. L’auteur, en prenant en compte l’approche de la sémantique cognitive (Fillmore, Fauconnier, Gibbs, Lakoff et Johnson, Sweetser) et la théorie de l’analyse textuelle du discours de Jean-Michel Adam, met en évidence le cadre contextuel, situationnel et générique. À l’aide de la description du fonctionnement de la conjonction « if » au sein des textes littéraires, il propose l’articulation T-D (texte-discours) afin de lier les recherches en sémantique cognitive et celles en linguistique textuelle.
Catherine Kerbrat-Orecchioni, « From discourse analysis to analysis of discourse », p. 95-106. Kerbrat-Orecchioni revient sur la définition de l’approche de l’analyse du discours par l’étude des conversations orales. Pour l’examen de ce corpus, défini « multimodal », l’auteure fait référence à plusieurs méthodologies issues de la philologie, de la rhétorique, de la sémiotique et de la stylistique et met en évidence deux critères : 1) l’opposition entre l’écrit et l’oral et 2) le degré d’interactivité entre écrit et oral. Il en résulte que la recherche, au sein de l’analyse du discours, doit tenir compte de plusieurs théories et de plusieurs typologies discursives.
Alain Rabatel, « Enunciator position, positioning and posture », p. 107-129. Alain Rabatel s’interroge sur les concepts de « énonciateur » et de « positions énonciatives » en reprenant les études de Ducrot. L’auteur met en évidence la co-construction des points de vue en montrant que l’énonciateur (premier ou second) fait référence aux objets du discours en se positionnant par rapport à eux et en indiquant de quel point de vue il les considère. Cela permet à l’auteur de prendre en compte l’auto-dialogisme et l’hétéro-dialogisme et les postures énonciatives (co-énonciation, sur-énonciation et sous-énonciation).
La deuxième section est composée de quatre articles. Voici comment s’articulent les différents chapitres de cette section :
François Rastier, « Dissipative units », p. 133-151. L’auteur examine deux paradigmes concernant le dualisme entre signe et texte : le paradigme logico-grammatical du signe et le paradigme rhétorique-herméneutique du texte. Il montre que l’opposition entre ces deux paradigmes est mise en évidence dans les régimes temporels et aspectuels des procédés productifs et interprétatifs. Ainsi, l’auteur propose, par une approche sémantique, une théorie textuelle qui prend en compte le caractère conjectural de l’interprétation observable au sein du texte et de l’intertexte.
Driss Ablali, « Corpus semantics, the unfinished project of Greimas’ Structural semantics », p. 153-167. La contribution de Driss Ablali, fondée sur l’approche sémiotique de la Sémantique Structurale de Greimas, ouvre la voie à une réflexion sur les catégories descriptives du texte d’un point de vue épistémologique et heuristique : le texte, le genre et le corpus. Pour montrer l’importance de la corrélation entre ces trois catégories, l’auteur examine les niveaux de la complexité textuelle et il prend en compte l’approche de Rastier qui propose d’examiner le sens d’un texte en prenant en considération non seulement le sens restreint mais aussi les déterminations globales comme le corpus, le discours et le genre.
Bernard Combettes, « Suggestions for a diachronic text linguistics », p. 169-183. L’article propose une approche diachronique de la linguistique textuelle à partir de l’examen de la cohérence discursive et des facteurs qui l’assurent. Pour ce faire, l’auteur souligne l’importance de l’observation des modèles d’analyse en diachronie : il s’agit de comprendre l’évolution des systèmes linguistiques, de la compétence textuelle du locuteur au sein de chaque période historique et de la spécificité textuelle contextuelle.
Lita Lundquist, « 40 years of text linguistics and its didactic application in teaching French as a foreign language », p. 185-204. Lita Lundquist trace le parcours diachronique de la théorie scandinave de la linguistique textuelle et en propose une approche nouvelle, appelée « linguistique textuelle contrastive ». Il s’agit d’un modèle qui prévoit, d’une part, une approche linguistique et, d’autre part, une approche didactique de la linguistique textuelle. L’auteur fournit un exemple de didactisation pour des étudiants danois de français langue étrangère de niveau avancé. L’auteur met en évidence la comparaison des textes académiques en danois et en français en montrant les différences textuelles (p.ex. l’organisation thème et rhème, le choix des anaphores), culturelles (les pratiques culturelles) et cognitives (la manière de penser et de créer un texte).
Patrick Charaudeau, « A socio-communicational model of discourse (between communication situation and individuation strategies), p. 207-229. Patrick Charaudeau s’interroge sur les bases théoriques et empiriques qui fondent une discipline du discours. Plus spécifiquement, il se penche sur la définition de champ d’études, sur la problématique interprétative et sur l’analyse des types de modèles de communication permettant d’examiner les stratégies discursives et la relation entre l’acte de parole et son extériorité. Sa conclusion porte sur un modèle socio-communicationnel où on s’interroge non seulement sur les conditions de production, d’interprétation et de construction d’un texte mais aussi sur la différence entre genre situationnel et genre discursif.
Dominique Maingueneau, « Discourse, discourse analysis, and discourse genres », p. 231-244. L’auteur s’interroge sur l’imprécision discursive et sur la structuration des croyances par les discours. Il montre, par les biais d’exemples, la diversité des discours et les modes sur lesquels repose la généricité de ces derniers. Il brosse un parcours descriptif concernant quatre types de modes : 1) les genres avec des limites (p.ex. les prévisions météorologiques), 2) les genres moins limités (p. ex. journaux télévisés), 3) les genres qui influencent le locuteur (p. ex. les publicités) et 4) les genres qui requièrent une participation de la part du locuteur (p. ex. essais, pensées). Il émerge que l’Internet montre des énoncés qui impliquent l’existence d’une diversité discursive.
Ruth Amossy, «Integrating argumentation in discourse analysis? Problems and challenges», p. 245-268. Cette étude vise à analyser, en abordant les théories de l’analyse du discours et de la rhétorique, l’importance de l’argumentation au sein du discours. Après avoir montré la différence entre l’analyse critique du discours qui prévoit une approche normative de l’argumentation, basée sur la pragma-dialectique et l’analyse du discours ‘à la française’ qui voit l’argumentation comme une séquence d’énoncés, l’auteur examine une page web polémique sur le port du burqa en France. Cela vise à montrer que l’argumentation discursive peut avoir plusieurs vocations, notamment scientifique, pragmatique et sociopolitique.
André Petitjean, «Linguistics and literature: Style in question», p. 269-278. Dans cet article, en abordant une perspective diachronique, André Petitjean s’interroge sur la notion de « style » et sur les liens qui existent entre littérature, stylistique et linguistique. L’auteur, après avoir examiné la notion de style comme marqueur esthétique et expressif, montre la valeur donnée au style au sein de la linguistique et de la sémiotique. Selon le théoricien, le recours au concept de style doit prendre en compte une révision de la stylistique littéraire impliquant la reconstruction du contexte des œuvres littéraires dans des dimensions intertextuelles et interdiscursives.
[Mariangela ALBANO]