Geneviève HENROT SOSTERO (éd.), Alle radici della fraseologia europea

di | 16 Ottobre 2024

Geneviève HENROT SOSTERO (éd.), Alle radici della fraseologia europea, Peter Lang, Bern, 2023, 638 pp.

Vingt-quatre contributions composent ce volume imposant consacré à la phraséologie européenne, qui explore une série de questions allant des origines de la littérature à l’apparition des œuvres contemporaines, et des mystères de la compréhension de la phraséologie aux complexités de son apprentissage par des apprenants étrangers. Nous rendrons compte ici des huit contributions écrites en français ou ayant trait à la langue française, qui se distribuent dans les quatre sections du volume : Fraseologia e cultura ; Fraseologia nel linguaggio economico, giuridico e politico ; Fraseografia ; Fraseodidattica.

C. Penn et M. Van Geertruijden (« Tradurre la fraseologia calviniana in francese. Il Visconte dimezzato », pp.49-73) proposent une analyse de la restitution des espressioni polirematiche (EP) du Visconte dimezzato (1952) d’Italo Calvino dans la nouvelle traduction française de l’œuvre par Rueff (2018). En adoptant une approche contrastive combinée à une analyse critique de la traduction basée sur la théorie de Berman, les Autrices comparent les traduisants de la version Rueff à ceux de la première traduction française (Bertrand 1955). Après une brève présentation des résultats quantitatifs de l’enquête, qui révèlent une certaine similitude entre les deux corpus analysés, elles se focalisent sur une analyse qualitative des traduisants qui montre que Bertrand a eu tendance à choisir des équivalents linguistiques et à supprimer les variétés diaphasiques les plus basses des EP, suivant ainsi les normes de traduction de son époque, alors que Rueff traite les EP de manière plus innovante, en accordant une attention particulière à toutes les variétés diaphasiques du texte source. Parmi les techniques créatives utilisées par Rueff, figurent le calque et le défigement qui permettent de préserver les images culturelles et l’ironie de Calvino. Enfin, les Autrices soulignent comment ce traitement innovant des EP s’inscrit dans une démarche de traduction de l’ensemble de l’œuvre visant à recréer fidèlement ses réseaux sémantiques, sa syntaxe et son style.

C. Fèvre-Pernet (« Quand une unité phraséologique devient un nom propre : étude morpho-sémantique des noms de coiffeurs » pp.155-185), offre une contribution précieuse à l’étude de la phraséologie dans l’onomastique commerciale. À partir d’un corpus de plus de 1500 unités phraséologiques repérées dans les enseignes portant les noms de salons de coiffure Ncoiff, l’Autrice décrit les formats dénominatifs présents, en particulier la dérivation délocutive ou recatégorisation d’un fragment d’énoncé (ex. C’dans l’hair), ainsi que la motivation sous-jacente de ces constructions polylexicales, en identifiant les schèmes sémantiques de nomination employés (description, valorisation, émotion, représentations). L’analyse et la vérification des présomptions d’isotopie (type d’activité, lieu, rapport affectif, expertise, beauté, etc.) mettent en lumière les stratégies de dénomination associées aux représentations socioculturelles présentes en circulation dans le domaine de la coiffure et de la beauté, en particulier à la figure de la narcissique et à l’isotopie du /plaire/.

L’objectif de l’article de L. Mešková («  Phrasèmes terminologiques économiques et financiers dans la presse française et slovaque et leurs équivalents anglais » pp.187-206) est d’explorer les 37 phrasèmes terminologiques répertoriés à l’intérieur du Vocabulaire de l’économie et des finances (2012) de la base de données FranceTerme et publiés dans le Journal officiel de la République française, puis d’analyser leur utilisation réelle dans la presse française et slovaque, notamment dans les sections « Économie » et « Finance». L’A. analyse ces unités sous l’angle de l’équivalence phraséologique (é. absolue, é. partielle, é. zéro) avant d’étudier l’emploi de leurs équivalents anglais dans la presse. Les résultats de cette recherche montrent que, même si ces néologismes français sont publiés dans le Journal Officiel, leur adoption dans la presse spécialisée demeure inégale : les équivalents anglais demeurent largement présents, seuls ou accompagnés des termes français et slovaques, ce qui met en lumière une dynamique linguistique complexe au sein de ces médias spécialisés.

L’intéressante étude de P. Frassi (« Les unités multiléxémiques non libres entre langue générale et langue de spécialité » pp.281-304) se concentre sur les unités multilexémiques non libres de type locution, dont les propriétés syntactico-sémantiques (polylexicalité, compositionnalité sémantique, blocage des propriétés transformationnelles, non actualisation des éléments, blocage des paradigmes synonymiques, non insertion) ont été établies dans le domaine de la langue générale, grâce aux recherches de Gross (1996) et Mel’čuk (2008 ; 2013). L’objectif de cette étude est de vérifier dans quelle mesure ces mêmes propriétés sont partagées par les locutions terminologiques, tout en tenant compte du fait que les unités multilexémiques non libres présentes en langue de spécialité se distinguent, sous certains aspects, des locutions de la langue générale. L’analyse s’appuie sur un ensemble de locutions terminologiques du commerce international issues du projet DIACOM-fr, un volet du plus vaste projet « Les humanités numériques appliquées aux langues et littératures étrangères » du Département des Langues et Littératures étrangères de l’Université de Vérone.

L’article de Ma I. González Rey (« Origines pédagogiques de la phraséologie. De la didactique des langues à la didactique de la traduction » pp. 399-424) retrace l’évolution du mot phraséologie, afin de souligner les liens profonds entre phraséologie, langues étrangères et traduction. Le mot phraséologie intègre en effet en lui-même un principe pédagogique intrinsèquement lié à l’enseignement des langues, et en particulier des langues étrangères : l’A. met en lumière ce lien par la présentation des étymons qui le composent et des premières attestations lexicographiques (Neanders 1558 « recueil de style »; Du Cloux 1678 « recueil de phrases convenables »). Ensuite, elle présente La Méthode Robertson, développée en 1844 pour l’enseignement de l’anglais aux élèves français, dans laquelle la phraséologie se trouve définitivement associée à la didactique des langues vivantes par le biais de la traduction orale instantanée. Enfin, elle rend compte de la spécialisation du sens du terme phraséologie dans les méthodes d’enseignement du FLE à l’étranger (Bochet et al. 1846), où il est utilisé en lien avec les idiotismes et leur traitement interlinguistique.

Le travail de N. Mazzetto (« La relation d’interdépendance entre la conceptualisation et les variations lexicales et syntaxiques des locutions » pp. 425-448), ancré dans un cadre théorique cognitiviste, a pour objectif d’établir un lien entre le comportement lexical et syntaxique des locutions et leur structure conceptuelle. En partant de corpus écrits de production langagière de locuteurs francophones (Internet, frTenTen17), l’A. montre que la productivité lexicale et syntaxique des locutions ne dépend pas uniquement de leur degré d’opacité et de compositionnalité sémantique. La flexibilité des locutions apparaît en effet étroitement liée à leur motivation synchronique, qui se fonde sur les liens motivationnels entre sens compositionnel et sens idiomatique des locutions et qui s’avère une propriété clé dans la compréhension de la productivité lexicale et syntaxique des locutions. Deux types de variations sont examinés : la substitution lexicale (paradigmatique dans rompre sa pipe ou conceptuelle dans donner du caviar au cochon), qui permet d’analyser en détail le matériel conceptuel contenu dans les composantes des locutions ; la phrase clivée par extraction (ex. C’est du petit lait qu’il boit…), qui offre une perspective globale sur la motivation des locutions.

L’analyse d’un corpus de mémoires de licence (Bac+ 3) d’étudiants italophones semi-experts est le point de départ de l’étude de G. Henrot Sostero (« Faire sans avec. Etude critique d’un corpus d’apprenants en FLE B2+ »,  pp. 485-506), qui constate que dans leurs productions écrites en français les apprenants italiens utilisent la préposition avec beaucoup plus souvent que les francophones natifs, probablement en raison de l’influence et de la fréquence d’emploi de l’ « équivalent » italien con. La prise en compte d’un large éventail d’études linguistiques grammaticales permet à l’A. de présenter le noyau sémantique commun que les prépositions con et avec partagent malgré leurs étymons différents, ainsi que leurs différences, afin de dégager certaines régularités pertinentes pour l’enseignement de la production en FLE. Une enquête comparative sur des corpus de locuteurs natifs est suivie de l’analyse du corpus Apprenants B2+, soumis à un étiquetage manuel qualitatif pour l’évaluation de la validité orthonymique et caconymique des emplois de la préposition avec. Les réécritures correctives des emplois qualifiés de caconymiques permettent de mettre en évidence certaines tendances stylistiques contrastives entre les deux langues.

S. Koesters Gensini (« Dalle costruzioni a verbo supporto italiane alle lingue terze : un percorso di studio universitario » pp.507-554) coordonne un groupe de chercheurs de La Sapienza Université de Rome (S. A : Verkade, A. Berardini, M.-P. Escoubas-Benveniste, B. Dashi, D. De Salazar, L. Forti, J. Nikolaeva, M. Roccaforte, D. Vaccari), qui présentent la construction d’un cours universitaire pour l’apprentissage des Constructions à Verbe Support (CVS) (ex. fare una doccia) dans un large éventail de langues tierces : albanais, allemand, espagnol, français, néerlandais, roumain, russe, suédois. Les Auteurs constatent les limites des supports d’enseignement existants et partent de la double hypothèse que 1) les CVS1 sont particulièrement complexes sur le plan de la production et 2) l’apprentissage des CVS en L3 requiert, comme le suggère le cadre théorique de la linguistique éducative, une approche axée sur la réflexion (méta)linguistique. Le point de départ choisi pour le parcours didactique est une réflexion sur le CVS en italien. Ensuite, les différentes traditions de l’étude des CVS en italien (L1), en anglais (L2) et dans les L3 étudiées sont passées en revue. La deuxième partie de l’article expose les étapes du parcours didactique et le cadre contrastif des équivalents des CVS italiennes dans les L3, notamment à travers l’exemple de la construction fare una passeggiata, avant de décrire l’environnement numérique d’apprentissage en cours de construction pour la consolidation de l’utilisation correcte des CVS.

[Michela Murano]