María José Domínguez Vázquez, Mónica Mirazo Balsa, Carlos Valcárcel Riveiro (éds.), Studies on Multilingual Lexicography, De Gruyter (« Lexicographica », n° 157), Berlin/Boston, 2020, pp. 227.
Ce numéro de Lexicographica consacré aux Studies on Multilingual Lexicography traite de la lexicographie multilingue et électronique qui se développe dans une société de plus en plus multiculturelle et numérique. Il se subdivise en deux sections dont la première, Multilingual electronic lexicography in a new society, se penche sur la lexicographie multilingue telle qu’influencée par l’Internet et par les technologies numériques qui lui sont appliquées à la fois au niveau de la conception et du développement par rapport à de nouveaux types d’usagers et à de nouveaux moyens de consultation.
En fait, selon Pedro A. Fuertes-Olivera et Henning Bergenholtz (« Towards a new definition of multilingual lexicography in the era of Internet », pp. 9-28), malgré l’avènement de l’Internet, le noyau dur de la lexicographie est resté essentiellement inchangé. Le traitement traditionnel d’éléments fondamentaux (usagers, données lexicographiques et voies d’accès) abonde dans nombre de projets lexicographiques bien que conçus pour l’Internet, comme par exemple IATE ou The Logos Dictionary. Les auteurs proposent donc une approche qui se veut holistique, en ce qu’elle porterait un changement interconnecté des trois éléments mentionnés, en frayant le chemin pour la définition d’un nouveau concept de lexicographie multilingue. Partant de l’idée que le dictionnaire n’est pas un produit, mais un service qui doit être toujours mis à jour et rendu personnalisable selon les exigences des usagers, ils affirment la nécessité que chaque dictionnaire, flexible et intégré, participe d’un nœud d’ouvrages connectés de par le domaine visé. Enfin, selon les auteurs, chaque base de donnée monolingue doit offrir une gamme complète de renseignements linguistiques, contextuels et culturels, et doit être conçue pour être extraite et mise en relation avec d’autres bases monolingues, de manière à créer, selon les exigences, des dictionnaires bilingues ou multilingues unifiés et bien reliés entre eux.
Les défis lancés par le numérique sont étudiés également par Rufus H. Gouws (« Metalexicographic models for multilingual online dictionaries in emerging e-societies », pp. 29-46) qui s’intéresse, d’une part, aux implications de l’Internet sur les théories lexicographiques, sur la planification et la compilation des dictionnaires et, d’autre part, aux exigences de nouveaux types d’usagers qui doivent être prises en considération et négociées par les lexicographes afin de produire des ressources « user-friendly ». Partant de la pratique lexicographique développée dans l’environnement de l’Afrique du Sud, caractérisé par l’émergence d’une « e-society » multilingue, multiculturelle et où l’accès à la Toile n’est pas encore pleinement répandu, il prône la promotion d’une culture des dictionnaires en ligne et sur papier. Dans ce contexte, le projet MobiLex s’adresse à une nouvelle génération d’usagers potentiels qui nécessitent d’une première assistance en Anglais, Afrikaans et Xhosa. Cette application pour smartphones permet aux utilisateurs de rechercher des termes dans certains domaines (histoire, mathématique, géographie, théologie…) et vise à résoudre des lacunes non seulement linguistiques mais aussi culturelles.
Sven TARP (« A dangerous cocktail : databases, information techniques and lack of vision », pp. 47-64) aborde les changements auxquels la lexicographie doit faire face afin de trouver des solutions efficaces aux problèmes posés par son intégration avec les nouvelles techniques et technologies de l’information. Selon Tarp, il est nécessaire de prévoir à cette fin des études empiriques et, surtout, de développer une théorie lexicographique – notamment la Théorie des Fonctions Lexicographiques – et une méthodologie adéquates à l’implémentation de dictionnaires en ligne (de plus en plus présents et consultés, malgré leur qualité le plus souvent mauvaise), qui se fonderaient sur la conception et la mise en œuvre de bases de données, d’interfaces utilisateur ou d’autres outils de soutien à la compilation. Ainsi, la lexicographie se définit comme une discipline de l’information à part entière, indépendante de la linguistique, et interagit avec d’autres disciplines concernées par la production dictionnairique, dans le but de répondre aux exigences d’un usager spécifique, dans une situation d’usage et sociale spécifique.
La deuxième section, Multilingual electronic dictionaries, présente plusieurs dictionnaires et ressources qui suivent le meme fil conducteur et combinent dans leurs approches des phénomènes linguistiques le multilinguisme et le traitement électronique de la lexicographie.
Olga BATIUKOVA et Elena de MIGUEL (« Multilingual Electronic Dictionary of Motion Verbs (DICEMTO) : overall structure and the case of andar », pp. 67-92) présentent le format électronique du dictionnaire multilingue des verbes de mouvement, Dicemto, qui enregistre la variation sémantique de ces verbes selon le contexte et selon les caractéristiques encodées de l’entrée lexicale et de ses arguments. Elles illustrent l’exemple de andar (en 14 langues dont le français et l’italien), pour lequel elles proposent une définition minimale, une structure argumentale et thématique (ex. nombre d’arguments requis et fonction sémantique), une structure événementielle (ex. dynamique, télique, durative, etc.) et une structure de « qualia » (éléments extralinguistiques). Elles montrent ainsi la manière complexe dont ces niveaux engendrent des sens différents selon le contexte dans lequel ils interagissent de façon dynamique.
Deux ressources électroniques et multilingues sont présentées par Maria Vittoria CALVI et Luis Javier SANTOS LÓPEZ (« From the Linguaturismo glossary to the Dictionary of Food and Nutrition : proposal for a new electronic multilingual lexicography », pp. 93-112). Les auteurs exemplifient leur méthodologie, élaborée au sein du projet Linguaturismo et fondée sur la comparaison de corpus textuels de même genre, par un glossaire espagnol-italien de la terminologie du tourisme. Ils soutiennent que l’approche par genres textuels se révèle un instrument très utile et efficace pour le développement de produits lexicographiques et terminologiques, également appliquée au Dictionary of Food and Nutrition (lancé lors de l’Exposition Universelle de Milan en 2015 et bientôt transformé en App), spécialisé dans plusieurs sous-thèmes et fondé sur une base terminologique multilingue (9 langues, dont le français et l’italien).
Un instrument innovant et ciblé pour les exigences professionnelles des traducteurs est Inteliterm, élaboré par Gloria CORPAS PASTOR et Isabel DURáN-MUŇOZ (« INTELITERM : In search of efficient terminology lookup tools for translators », pp. 113-133), encore en voie d’amélioration et d’élargissement. Le produit offre des outils de gestion de corpus ayant différentes options de recherche ainsi que de personnalisation (tout en demeurant intuitif et « user friendly »), finalisées à l’optimisation des résultats de la traduction et à la minimisation des efforts du traducteur dans la recherche terminologique. Les auteures illustrent les fondements théoriques d’Inteliterm et les instruments qui l’intègrent, comme par exemple l’éditeur TermBase eXchange, qui permet aux usagers de créer, modifier, télécharger et interroger des bases de données terminologiques.
Après avoir décrit les étapes qui ont mené à l’élaboration de Portlex, sa structure, sa base de données sous-jacente et son interface, María José Domínguez Vázquez et Carlos Valcárcel Riveiro (« PORTLEX as a multilingual and cross-lingual online dictionary », pp. 135-158) présentent les caractéristiques principales de ce portail, fondé sur la grammaire des valences, qui propose par conséquent dans ses microstructures une analyse linguistique des variables dues aux arguments et aux rôles sémantiques. Portlex se veut une ressource de référence modulaire, multilingue (5 langues, dont le français et l’italien) et cross-linguistique, ciblant un vaste public ayant des exigences lexicographiques différentes (apprentissage et enseignement des langues, traduction, dépannage grammatical, etc.), et se propose enfin comme un lieu de création d’une communauté virtuelle en interaction et en collaboration mutuelle.
Isabel DURáN-MUŇOZ et Gloria CORPAS PASTOR (« Corpus-based multilingual lexicographic resources for translators : an overview », pp. 159-177) offrent un panorama des ressources multilingue en ligne qui donnent accès à des corpus électroniques comparables ou parallèles (par exemple, des « corpus-based web crawlers » ou des mémoires de traduction « web-based ») et qui se révèlent un atout avantageux pour répondre aux exigences des traducteurs dans les différentes étapes de leur travail, notamment en termes de gestion terminologique. Cependant, les auteures en remarquent également les points de faiblesse, qui les amènent à prôner la création d’instruments spécifiquement conçus pour les exigences des traducteurs et qui intégreraient corpus et dictionnaires électroniques (par exemple, Glosbe, Your Dictionary, Inteliterm, Termitur, etc.).
Xavier GÓMEZ GUINOVART, Miguel Anxo SOLLA PORTELA (« Construction of a WordNet-based multilingual lexical ontology for Galician », pp. 179-196) présentent quelques aspects de Galnet, une ontologie lexicale multilingue basée sur WordNet pou le galicien. Les auteurs décrivent les applications possibles d’une wordnet dans le champ de l’acquisition et de la gestion terminologique (par le biais de l’outil Termonet, qui vérifie les lexiques spécialisé contenus dans WordNet dans des corpus techniques) et ontologique (notamment par l’examen des synsets nominaux qui forment des épinonymes représentant des catégories appartenant à un domaine sémantique) dans le web sémantique.
Dans « Designing and compiling a terminological and multilingual dictionary for language teaching and learning: key issues and some reflections » (pp. 197-212), Ignacio M. PALACIOS MARTÍNEZ et Mario CAL VARELA décrivent la parcours de création et de développement, ainsi que l’architecture, le contenu et les sources, de leur ressource terminologique multilingue (6 langues, dont le français et l’italien) pour l’apprentissage et l’enseignement linguistique, qui se veut une référence pour le profil d’usagers ciblé. Les auteurs envisagent également le développement d’une version en ligne, élargie à d’autres langues et de plus en plus « user-friendly », dont un plus large public pourrait bénéficier.
Ce numéro de Lexicographica est clôturé par l’expérience décrite dans l’article de Janusz TABOREK (« Multilingual LSP Dictionary. Lexicographic conception of a dictionary of football language », pp. 213-227). Ce dictionnaire, développement du précédent German-Polish language dictionary, compte 2400 entrées (dans chacune des quatre langues impliquées) conçues afin de résoudre quelques problèmes qui peuvent se présenter à plusieurs niveaux. L’auteur traite notamment des stratégies adoptées afin de dépasser certaines difficultés dans la création des macro-, medio-, et microstructures, à partir de la lemmatisation des unités lexicales complexes, aux choix des marques, des renvois sémantiques ou des exemples, jusqu’à la structure et au système de référence employés pour la construction de la ressource.
[Chiara PREITE]