Adele D’Arcangelo, Chiara Elefante, Roberta Pederzoli (sous la direction de), Traduire pour la jeunesse dans une perspective éditoriale, sociale et culturelle, Equivalences, 46/1-2, 2019.

di | 11 Luglio 2021

Depuis quelques décennies, la littérature de jeunesse est traversée par un regain d’intérêt de la part de plusieurs instances sociales (lecteurs, éditeurs, libraires, institutions…) et l’on assiste à une réappropriation de ce champ littéraire de la part de ces mêmes instances qui introduisent de nouvelles problématiques et ouvrent de nouvelles perspectives d’études. Les publications récentes dans ce domaine (Revue Palimpsestes, 2019, Atelier de Traduction 35-36 2021, par exemple) témoignent de la vivacité du débat actuel et de la pluralité des approches proposées.

Coordonné par Adele D’Arcangelo, Chiara Elefante et Roberta Pederzoli, ce numéro de la revue Equivalences choisit comme angle d’attaque la traduction littéraire pour la jeunesse dans une perspective éditoriale, sociale et culturelle afin de situer cette « pratique stratégique » non seulement dans un système socio-culturel et éducatif, mais aussi dans un ensemble de macrostratégies éditoriales spécifiques. Les contributions recueillies dans ce volume, réparties en deux volets, questionnent les multiples facettes de la traduction pour la jeunesse en tant qu’opération littéraire et culturelle plus ample et son impact sur la société par le biais des politiques éditoriales à long terme.

Le premier volet vise à explorer l’édition de la littérature de jeunesse selon une perspective historique allant de la fin du XIXème siècle à l’ère numérique contemporaine (L’édition de la littérature de jeunesse entre histoire et nouveaux enjeux).

Dans sa contribution, Mirella Piacentini se penche sur le cas de l’éditeur-traducteur Pierre-Jules Hetzel qui a marqué l’histoire de la littérature de jeunesse en France par ses traductions de grands classiques comme Little Women et Silver Skates. L’analyse menée au niveau paratextuel permet de faire émerger la question de l’adaptation dans la traduction pour enfants et de revisiter la notion théorique d’éthique de la traduction (Le traducteur jeunesse en préfacier : Stahl adaptateur de Silver Skates, pp. 33-60).

Le contexte italien de l’après-guerre est exploré par Diana Bianchi qui s’intéresse aux politiques éditoriales de la maison d’édition Mondadori et plus précisément aux enjeux d’Urania, la première série de science-fiction lancée en 1952 à destination du jeune public masculin.  A travers l’analyse des éléments textuels et paratextuels, notamment les couvertures et les textes promotionnels d’invitation à la lecture, ainsi que des stratégies traductives déployées, elle montre la prise en compte de ce public potentiel par des pratiques éditoriales visant à encourager l’identification au modèle masculin positif du héros principal. En outre, la dimension genrée de la science-fiction de cette période révèlerait le besoin de reconstruire la société italienne des années 1950 (Young, Male and in Search of Adventures : The Construction of the Ideal Science Fiction Reader in Italy in the Early 1950s, pp. 61-77).

Les coulisses des pratiques éditoriales des années 1960 en France sont au cœur de l’article de Mathilde Lévêque qui tient à souligner l’importance des informations pédagogiques et didactiques véhiculées par la traduction de la littérature de jeunesse dans une perspective historique et qui s’interroge sur les moyens nécessaires pour une analyse traductologique contextualisée. L’exploration des archives éditoriales se révèle particulièrement porteuse pour la recherche d’informations sur le processus traductif et sur l’influence des choix des éditeurs sur les romans traduits en français dans les années 1960. L’analyse détaillée des archives de la Bibliothèque de l’Amitié des éditions Rageot à Paris et des archives personnelles de l’éditrice Isabelle Jan (« Bibliothèque internationale », Nathan, 1968) lui permet de cerner la voix de l’éditeur dans la traduction. En effet, l’éditeur influencerait l’activité du traducteur en adaptant la traduction aux attentes du lecteur implicite ou à la ligne éditoriale de la collection, s’affirmant ainsi en tant que traducteur implicite. Ainsi, la prise en compte des archives éditoriales permettrait-elle de mieux cerner la traduction non seulement comme processus linguistique et culturel, mais encore comme produit historique de création et de réception (Dans les coulisses de la traduction pour la jeunesse : les archives éditoriales et les romans traduits en français dans les années 1960, pp. 81-103).
Dans l’article qui clôt cette première section Sara Amadori nous projette dans le futur proche du livre pour la jeunesse. L’apparition d’un public de « natifs du numérique » a développé des pratiques de lecture diverses et une nouvelle offre de produits auxquels on reconnaîtrait un certain potentiel éducatif. L’auteure propose une étude de cas (l’appli-livre Ogre doux) pour examiner les caractéristiques communicatives, créatives et immersives de l’« appli-livre », dont l’intérêt réside aussi dans sa disponibilité en plusieurs langues.  D’où la question de la traduction de ce type de littérature numérique au vu de l’univers plurisémiotique de l’œuvre. Cette mise en relation du texte, des images, des sons des animations, de la musique, appelée «icono-lettre », demande aux traducteurs des stratégies et des habilités spécifiques encore à développer ainsi que des études théoriques dans ce domaine. (L’Appli-livre : un nouveau défi pour la traduction de la littérature d’enfance, pp. 105-128)

Le deuxième volet de ce volume, intitulé La littérature de jeunesse traduite à l’épreuve du social et du culturel, est consacré aux retombées sociales et culturelles de la traduction en tant que vecteur de l’éducation interculturelle, mais aussi de nouvelles visions du monde.

Dans son article, Valeria Illuminati conjugue la perspective éditoriale d’une part et d’autre part la perspective sociale, basée sur une approche de genre. Elle propose une vue d’ensemble des activités éditoriales de la maison d’édition française “Talents Hauts”, militante et féministe, afin d’en dégager la politique éditoriale « ambitieuse » où la traduction reste accessoire.  L’analyse des volumes publiés par cette maisons d’édition traduits en italien montre la réticence du marché italien envers cette littérature engagée contre les stéréotypes et affirme toute la complexité du croisement de facteurs éditoriaux, littéraires, commerciaux, socio-culturels et éthiques sous-jacents aux échanges entre langues-cultures. (Modèles et représentations de genre dans la littérature de jeunesse entre la France et l’Italie : quelques réflexions à partir de la maison d’édition Talents Hauts, pp.131-160).

Muguraş Constantinescu propose une réflexion sur le paysage éditorial roumain post-communiste, notamment sur la diffusion des livres pour la jeunesse dédiés à l’écologie et à l’environnement. A partir d’un corpus de textes variés, elle s’intéresse à leur traduction en roumain et à mieux définir les destinataires qui semblent maintenir une certaine ambiguïté. L’étude des différentes stratégies adoptées par les traducteurs permet de supposer l’influence des instances éditoriales sur ces traductions « vertes », ayant même un effet social tel que la mobilisation des jeunes en faveur d’une éthique environnementale (Traduction et éducation verte pour les enfants, pp. 161-188)
L’éducation à la mémoire historique fait l’objet de l’enquête de Annalisa Sezzi autour de deux séries britanniques de vulgarisation historique proposées en traduction italienne par les maisons d’éditions De Agostini (DK Eyewitness) et Salani (Horrible Histories). L’analyse contrastive d’un corpus de textes parallèles révèle des choix éditoriaux orientant la traduction vers l’exactitude des notions historiques et terminologiques, au détriment de la dimension ludique pourtant présente dans ce genre hybride « ludo-éducatif ». Cet éloignement des textes cibles de leur cadre « générique » standardise les traductions pour les rapprocher des manuels scolaires et d’une tradition pédagogique plus classique (History is horrible but is MORE Horrible in Some Palcese than Others : The Translation of History Books for Children, pp. 189-214).

Enfin, B.J. Epstein propose l’analyse contrastive du best-seller de Roald Dahl, The BGF (Big Friendly Giant) en suédois. S’appuyant sur les outils de la linguistique textuelle, l’auteure focalise son attention sur le problème de la traduction des néologismes dans les livres pour enfants et tout spécialement sur les stratégies et les choix effectués par les traducteurs. Grâce à une étude statistique, elle montre l’appauvrissement du texte cible en suédois où les néologismes ont été réduits de moitié et l’atténuation des effets de la créativité de Dahl. Ces choix traductionnels pourraient correspondre à une vision socio-culturelle spécifique de la littérature de jeunesse en Suède moins ouverte à l’emploi créatif de la langue (The Translation of Neologism in Children’s Literature: a case study, pp. 213-228).

[MARIA MARGHERITA MATTIODA]

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