Élisabeth LAVAULT-OLLÉON, Maria ZIMINA (éds.), Des mots aux actes, 2019, n° 8 – Traduction et technologie, regards croisés sur de nouvelles pratiques, Paris, Éditions Classiques Garnier, pp. 352.
Ce numéro de « Des mots aux actes », la revue de traductologie de la SoFT (Société française de traductologie) et de la SEPTET (Société d’études des pratiques et théories en traduction), a été publié sous la direction d’Élisabeth Lavault-Olléon et de Maria Zimina.
Les dix-sept contributions qui composent ce volume ont été présentées dans le cadre de l’axe 6, Révolution numérique, audiovisuel et traductologie, lors du Congrès Mondial de Traductologie (CMT) qui a eu lieu du 10 au 14 avril 2017 à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense. Le numéro est consacré, dans son ensemble, aux nouvelles pratiques de la traduction ainsi qu’aux effets des pratiques outillées sur la formation universitaire.
Le volume s’ouvre par la préface (p.13) et l’avant-propos (pp. 15-22) rédigés par les deux directrices du numéro qui présentent cette publication comme une « invitation à réfléchir » (p.16) sur les transformations entrainées par la révolution numérique dans le domaine de la traduction, aujourd’hui. Ce numéro comprend trois volets. Le premier (Traduction outillée : quelle place pour le traducteur ?) contient six contributions centrées sur les questionnements traductologiques en rapport avec l’interaction entre l’humain et la machine.
Élisabeth Lavault-Olléon (Quelle traductologie pour la traduction outillée d’aujourd’hui ?) (pp. 25-46) défend une approche traductologique appliquée et pragmatique aux fins d’une meilleure compréhension des transformations technologiques actuelles. Elle met en valeur, tout particulièrement, l’apport issu de l’approche ergonomique en traductologie appliquée en soulignant que la démarche ergonomique permet de resituer le traducteur humain au centre des recherches traductologiques. Maureen Ehrensberger-Dow et Gary Massey (Le traducteur et la machine. Mieux travailler ensemble ?) (pp. 47-62) se penchent sur l’observation des processus cognitifs qui soutiennent l’opération de traduction tout en les mettant en relation avec l’environnement organisationnel du traducteur dans le but d’identifier les éléments ergonomiques d’intérêt pour la définition de pratiques outillées moins contraignantes pour le traducteur humain.
Baptise Dirand et Caroline Rossi (Biotraducteur et traducteur automatique. L’homme outillé et la machine-homme) (pp. 63-78) s’interrogent sur l’emploi des termes « traducteur » et « biotraducteur » afin de comprendre les raisons contextuelles qui sont à l’origine de l’ambiguïté sémantique émergeant, aujourd’hui, au niveau des perceptions des étudiants interrogés dans le cadre de leurs enquêtes.
Aurélien Talbot (De l’interprétation à la traduction automatique. Le poste de travail du traducteur vu par la Théorie interprétative) (pp. 79-92) revient sur trois notions fondamentales pour la Théorie interprétative, fondée par Danica Seleskovitch et ensuite développée par Marianne Lederer au sein de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs de Paris (ESIT) : les notions d’équivalence, de déverbalisation et de message. L’objectif de sa contribution est de proposer une révision de la pertinence de ces principes, à l’ère de l’automatisation de la traduction.
L’article de Caroline Rossi (L’apprenti traducteur et la machine. Des connaissances aux perceptions de la traduction automatique) (93-106) remet au centre du débat traductologique actuel l’importance d’une formation universitaire à la traduction spécialisée qui encourage le développement « de l’autonomie du futur traducteur dans l’interaction avec ses outils » (p. 94).
Antonio Balvet (Corpus parallèles massifs et traduction. Quelles pépites se cachent dans les séquences-pivots des moteurs de traduction phrase-based ?) (pp. 107-133) entend remettre en valeur les spécificités propres aux moteurs de traduction automatique PBMT (Phrase-Based Machine Translation) en soulignant notamment l’intérêt (pour le traducteur/linguiste) des unités phraséologiques alignées, traitées par ces moteurs.
Le deuxième volet du volume (Outils et ressources textométriques pour la traduction) comprend cinq articles qui explorent, dans leur ensemble, les convergences entre traduction et textométrie. D’après Olivier Kraif (Sous-genre littéraire et traduction. Une approche textométrique) (pp. 137-155) l’analyse textométrique appliquée à un corpus constitué de textes littéraires en langue originale et en langue traduite, permet d’identifier et de mesurer les effets de traduction caractérisant le translationese (p.138).
Marion Bendinelli (Exploration textométrique d’un corpus comparable bilingue. Le corpus LSF) (pp. 157-178) intègre, quant à elle, l’approche textométrique dans le but de faire émerger d’un corpus comparable bilingue des équivalents de traduction (anglais-français) en matière de Linguistique Systémique Fonctionnelle (LSF) (p.157). Le propos de cette étude est illustré par l’identification et l’analyse des équivalents français du terme delicacy.
L’étude de Jun Miao (Exploitation textométriques des stratégies dans la traduction des noms de personnes du français vers le chinois) (pp. 179-202) concerne le repérage textométrique des procédés de traduction des noms de personnes dans trois traductions en chinois de l’œuvre française Jean-Christophe de Romain Rolland. Cette analyse textométrique montre que l’élaboration de stratégies de traduction des anthroponymes ne se base pas seulement sur les aspects graphiques de leurs transcriptions, mais surtout sur le transfert du « récit de l’œuvre originale » (p.192).
Les résultats obtenus dans le cadre de l’étude d’Ilaria Cennamo (Unité textométrique et unité de traduction. Une réflexion pédagogique) (pp. 203-219) montrent l’apport de la textométrie à une analyse traductologique basée sur un corpus comparable (français-italien) pour le repérage de traits discursifs porteurs d’identité culturelle. Textométrie et traduction sont ici envisagées en tant qu’opérations convergentes, visant l’interprétation d’unités significatives dans un contexte donné.
L’intérêt lié à l’application de l’approche textométrique aux opérations de traduction reste au centre de l’article de Maria Zimina (Vers une Mémoire de Traduction dynamique et multidimensionnelle) (pp. 221-236) qui présente un modèle, dynamique et multidimensionnel, pour l’intégration de la textométrique aux mémoires de traduction.
Le troisième volet (Points de vue sur de nouvelles pratiques) est constitué de six contributions dont la sixième, l’épilogue de Jean-René Ladmiral, complète la réflexion sur l’évolution des pratiques traductives proposée par ce volume tout en ouvrant la voie aux perspectives de recherche en traductologie.
Ce troisième volet est introduit par Katell Hernandez Morin (Évolution des technologies et des usages en traduction. Pratique et enseignement de la post-édition) (pp. 239-255) qui met en relation les mondes de la profession et de la formation aux fins d’un élargissement des compétences des futurs traducteurs en matière de révision et de post-édition.
L’étude d’Hanna Martikainen (Qualité fonctionnelle et distorsion d’interprétation en traduction médicale) (pp. 257-270) est centrée sur une comparaison entre traduction humaine et automatique (post-éditée) des résumés scientifiques (abstract) publiés par les revues systématiques Cochrane. À partir de la définition des principales sources de distorsion en tant qu’éléments du texte traduit qui sont susceptibles « d’influencer l’interprétation du lecteur ou de l’induire en erreur » (p. 258), il a été observé que dans le corpus des traductions automatiques statistiques post-éditées, ces distorsions sont associées à des erreurs de traduction de nature syntaxique ou terminologique. Dans le corpus des traductions humaines, au contraire, les distorsions sont majoritairement issues de traductions biaisées de schémas lexico-grammaticaux.
Emine Bogenç Demirel et Zeynep Görgüler (Traduction dans les réseaux sociaux. Nouvelles pratiques traductives en Turquie) (pp. 271-288) présentent une analyse netnographique de pratiques traductives qui se développent au sein de communautés autonomes en Turquie. La notion de « culture de l’autonomie » occupe une place centrale dans cette réflexion qui s’inspire de la sociologie de la traduction dans le but de contextualiser les nouvelles pratiques au sein de la société en réseau, un cadre qui associe au métier du traducteur des identités hétérogènes (bénévole, militante et professionnelle) observables dans le milieu numérique.
Anna Kuznik (L’organisation des services dans les PME de traduction françaises) (pp.289-307) s’intéresse à un autre ensemble de pratiques traductives, celles qui caractérisent le contexte des entreprises de prestation de services en traduction, en s’interrogeant, dans le cadre d’une étude ethnographique exploratoire, sur l’évolution de la structure des services de traduction offerts par une sélection de petites et moyennes entreprises de traduction (PME) dans le but de définir les démarches d’optimisation organisationnelle prévues dans ce contexte.
En s’appuyant sur les résultats issus d’une enquête menée auprès d’un échantillon de traducteurs indépendants travaillant dans le domaine médical, en France et en Espagne, Luz Martínez (L’impact de la technologie sur des traductions spécialisées. Le cas de la traduction médicale) (pp. 309-326) propose une réflexion sur les pratiques outillées de la traduction médicale en soulignant l’importance d’une formation, initiale et continue, aux technologies de la traduction, et ce en raison de la forte présence des outils dans le domaine considéré.
L’épilogue (pp.327-343) rédigé par Jean-René Ladmiral (Critiques du modernisme en traductologie) clôture le numéro en évoquant les horizons philosophiques de la traductologie, et en attirant l’attention sur les limites de l’automatisation du processus traductif qui se situent, d’après l’auteur, au niveau des spécificités discursives (p.337) propres à la communication humaine.
Ilaria Cennamo