Gilles COL, Charlotte DANINO, Stéphane BIKIALO (éds), Polysémie, usages et fonctions de « voilà », Berlin-Boston, De Gruyter, 2020.
L’ouvrage ne se présente pas comme un simple recueil mais comme le résultat d’une réflexion commune menée, essentiellement dans une visée sémantique, autour du mot voilà, autour du projet « Discours et Cognition » du laboratoire FoReLLIS de l’Université de Poitiers, en utilisant différents angles d’attaque, depuis la perspective diachronique et comparative jusqu’aux aspects co-verbaux et multimodaux, en passant par l’analyse des occurrences littéraires ou de certains emplois grammaticalisés (voilà temporel). Dans l’introduction générale (« En veux-tu, en voilà ». Polysémie, usages et fonctions de voilà), Gilles Col et Charlotte Danino dressent tout d’abord l’état des lieux des connaissances sur voilà, en proposant une revue de la bibliographie : les multiples propositions concernant le statut catégoriel de l’unité, entre étiquetage unique et traitement polyfonctionnel, avec l’émergence d’un trait sémantique commun aux différentes analyses, désigné par la notion de « pointage », commune aux emplois rectionnels et holophrastiques de l’unité analysée. La deuxième partie de l’introduction est consacrée à l’étude exploratoire, menée sur un corpus restreint, oral et écrit, visant à cartographier les usages de voilà (dont des tableaux de synthèse sont donnés à la fin du chapitre) à l’aide du logiciel Analec, et permettant de présenter la méthodologie d’analyse et d’étiquetage, ainsi que de mettre en évidence quelques différences entre écrit et oral (notamment l’usage holophrastique, essentiellement réservé à l’oral). Les auteurs aboutissent ainsi à une première définition sémantique, qui assigne à voilà la fonction de convoquer sur la scène verbale des éléments dispersés (entités ou procès) tout en évoquant leur regroupement dans un ensemble perceptible. À l’issue de cette analyse d’ensemble, dans la dernière partie de cette introduction, les auteurs présentent les différents chapitres de l’ouvrage.
Voici comment s’articulent les différents chapitres du livre :
Charlotte Danino, Anne C. Wolfsgruber et Marie-Dominique Joffre, « Voilà en diachronie : perception, énonciation et courbe en S », p. 33-80.
Les auteurs brossent ici le parcours diachronique qui a mené à la création de voilà en français, expression aussi bien isolée dans le panorama des langues romanes que par rapport à ses antécédents fonctionnels en latin. Tout d’abord, l’étymon du latin ecce, équivalent sémantique de voilà, permet de retrouver un verbe de perception, physique et intellectuelle. Il en va de même du passif videor, dont la racine se retrouve dans le lexème français et dont le sémantisme indique l’impression qui s’impose à l’esprit (« sembler ») et évolue, chez Cicéron notamment, vers la modalisation argumentative de non contestabilité des énoncés où le verbe apparaît.
En ancien français, la forme héréditaire ez vos est assez vite concurrencée par veez ci/la, qui supplante le premier à la fin du XIVe siècle, tandis que la soudure sera complétée au XVIe. Les auteurs montrent, à l’aide de nombreux exemples, les étapes de la grammaticalisation (blocage du clitique en position intermédiaire, passage d’animé à inanimé pour les référents du constituant régi), ainsi que l’évolution du contexte d’emploi (contexte discursif ou épistolaire, avant la généralisation ; de présentatif d’éléments contextuels à un usage plus abstrait, de type continuatif ou contrastif, jusqu’aux premières occurrences holophrastiques). Si, au départ, voici semble être plus fréquent que voilà, par la suite c’est ce dernier qui sera le plus souvent attesté, comme le montre l’exploration diachronique de Frantext. Celle-ci permet par ailleurs de constater une augmentation des attestations entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, où l’on constate une fréquence plus élevée dans les textes se rapprochant de genres oraux et une plus forte présence de constituants régis humains, abstraits ou de type propositionnel, ce qui correspond à une baisse de la perception en faveur de la saisie cognitive et de l’extension de la pragmaticalisation, favorisées par la javellisation sémantique du verbe. Dans la dernière partie de ce chapitre, le recours à la notion de construction (Goldberg 1995) permet de focaliser l’analyse sur le contexte régi par voilà, qui permettrait, d’une part, d’isoler des patterns récurrents et, d’autre part, de faire évoluer le sens et la fonction du terme pivot.
Stéphane Bikialo, Catherine Rannoux et Julien Rault, « Voilà dans le discours littéraire : un signe bavard », p.81-122.
À partir du constat de la surreprésentation de voilà dans l’oral spontané, les auteurs se penchent sur ses occurrences dans le discours littéraire, pour déceler les éventuelles fonctions spécifiques liées à son emploi dans ce genre textuel, et notamment à son usage en tant que marqueur d’oralité. Dans une première partie, c’est un parcours diachronique qui est proposé, à partir notamment des travaux d’Opperman-Marsaux, montrant l’introduction progressive de ce marqueur dans le texte littéraire, avec une très grande diffusion dans le texte théâtral au XVIIIe siècle. Le phénomène le plus significatif correspond à une pragmaticalisation de cette unité faisant suite à sa grammaticalisation, c’est-à-dire le passage d’un voilà verbal à un voilà déictique jusqu’à un voilà modal, dont la valeur de base est celle de validation, aboutissant à des effets de sens variés (valeur affective d’intensification, valeur épistémique de certitude forte, commentaire méta-énonciatif portant sur le dire). Cet excursus diachronique se termine par l’emploi de voilà comme élément permettant la représentation du discours autre (cf. Authier-Revuz 2012), que l’on retrouve très fréquemment chez Proust à la fois dans cette fonction de délimitation des paroles d’autrui (décrochage modal) et comme élément appartenant au discours autre reproduit à l’intérieur du roman. La partie suivante du chapitre est consacrée à des textes contemporains où l’emploi de voilà est l’un des indices de l’attraction que la littérature ressent vis-à-vis du modèle oral de la parole, tout au long du XXe siècle. En effet, on passe en revue les occurrences de voilà dans une pièce de théâtre de J.-L. Lagarce, un roman de J. Echenoz et un monologue de L. Mauvignier, afin de mettre en exergue le potentiel évocateur de vocalité, ou effet de voix, porté par voilà dans ces textes. Le parcours se termine par l’analyse de l’usage conclusif et clôturant de voilà et de voilà tout en diachronie et tout particulièrement dans les textes de Céline, où ce mot semble avoir une fonction poétique et esthétique majeure, que les auteurs font émerger en comparant son emploi avec son usage des points de suspension.
Frédéric Lambert et Gilles Col, « Les fonctions discursives de voilà : retour sur les valeurs aspectuelles et déictiques de voilà en emploi absolu », p.123-151.
S’interrogeant sur la valeur sémantique de base de voilà, tantôt identifiée comme déictique, tantôt comme présentative, les auteurs proposent une anayse fondée sur la valeur aspectuelle de ce mot, compatible avec l’accompli mais pas avec le révolu, à partir de l’exploration de quatre corpus oraux (Rhapsodie, CFPP2000, ESLO et CLAPI), utilisés pour établir une typologie des emplois absolus de voilà, à partir de leur caractéristique commune de permettre l’organisation du discours. Les trois types identifiés sont 1) l’emploi en co-occurrence avec un autre connecteur spécifiant le lien avec le co-texte (enfin, donc, et, mais, ben) ; 2) voilà seul en fin de séquence comme forme de ponctuation orale forte ou comme relais de l’élaboration de l’énoncé ; 3) voilà renvoyant non pas à la gestion du discours mais à la situation d’énonciation (emploi déictique). À la suite de cette typologie, les auteurs proposent une analyse fine de la valeur aspectuelle de ces emplois absolus. S’appuyant sur les catégories de Vendler, l’hypothèse avancée est que voilà fonctionne comme un prédicat de résultat présupposant une phase préparatoire, dont les rapports avec le résultat expliquent les différents effets de sens constatés (validation d’une formulation, introduction, étape, conclusion), que les auteurs ramènent globalement à une fonction de défocalisation, suite à l’épuisement de ce que le locuteur peut dire au sujet du thème en cours ou au terme du processus en cours, y compris pour les emplois déictiques de voilà. Cette défocalisation, qui constitue une borne de passage à un nouveau focus, est également susceptible d’un emploi argumentatif de co-orientation au niveau dialogique. En ce qui concerne la deixis, enfin, après avoir distingué entre une deixis forte, comportant une opération de pointage extralinguistique (correspondant plutôt à voici), et une deixis faible, opération d’actualisation déclenchant un repérage par rapport aux conditions d’énonciation (repérage temporel, locatif ou interlocutif ; ce type de deixis faible étant réalisé par voilà). Dans les trois cas, la valeur aspectuelle de résultat contribue à l’opération de repérage et trouve un reflet ponctuel dans les morphèmes composant voilà : le verbe voir (évidentiel), l’adverbe là (actualisateur), l’impératif (propriétés aspectuelles).
Mélanie Petit, « La prosodie de voilà en français dans le discours médiatique », p. 153-178.
Se situant dans le droit-fil des recherches précédentes de l’auteur sur enfin et sur oui, la recherche présentée ici explore la prosodie de voilà à travers un corpus de textes médiatiques (des émissions journalistiques comportant un débat entre journaliste(s) et invité(s), caractérisés par la nature argumentative des interventions, ainsi que la nature dialogique des échanges, ce qui permet de faire ressortir le rôle de ponctuant endossé par voilà. Après la présentation du corpus et des fonctions de voilà dans celui-ci (accompagnées des pourcentages respectifs), l’auteur précise le rôle auxiliaire de « coloration » interprétative qu’elle attribue à la prosodie, ainsi que les outils d’analyse (Praat) et les paramètres pris en compte (forme de la mélodie, continuité ou rupture prosodique avec le contexte, longueur de la réalisation, qualité de la voix, réalisations particulières des locuteurs, influence de la prosodie contextuelle en cas d’intégration). Dans la suite de l’analyse, ce sera essentiellement le premier paramètre qui s’avèrera pertinent, puisqu’il n’y a pas de configuration prosodique stable associée à voilà, tandis que celui de la durée apparaîtra comme non pertinent. Par ailleurs, c’est sur les emplois holophrastiques que se concentrera l’analyse. Ce choix est essentiellement motivé par leur fréquence plus importante. Au-delà des trois fonctions analysées (voilà conclusif des propos du locuteur, voilà de validation des propos de l’interlocuteur, voilà servant à combler le discours, notamment en cas de panne lexicale), la prosodie permet d’apporter des nuances interprétatives assez stables : la mélodie descendante correspond en effet à une simple clôture, à un accord, ou au repérage de l’expression qui faisait défaut, sans autre implication, tandis que la mélodie en cloche signale toujours la volonté d’appuyer un élément sur lequel l’accord ne va pas de soi entre les interlocuteurs (soit afin d’obtenir l’accord de l’interlocuteur, soit de lui manifester son propre accord, soit d’obtenir sa connivence sur l’élément implicite ayant déclenché une panne lexicale et qu’on préfère finalement ne pas verbaliser). Le cas de la mélodie montante, repéré uniquement sur la première typologie de voilà, est associé au besoin résiduel de convaincre, lorsque le consensus ne semble pas encore tout à fait acquis.
Juliette Delahaie et Inmaculada Solìs Garcia, « Marquer l’accord en français et en espagnol. Voilà et claro, convergences et divergences », p. 179-205.
À la suite des analyses des chapitres précédents, les auteures se proposent d’approfondir la valeur interactive de marqueur d’accord en adoptant une approche contrastive avec une langue proche, l’espagnol, dont on prend en compte le marqueur claro. L’analyse est menée sur des corpus comparables : d’une part, des enregistrements de la relation client-voyagiste dans une agence de voyage et, d’autre part un jeu collaboratif basé sur la confrontation d’images contenant des différences dans le but de les dénicher. Si le noyau sémantique des deux marqueurs est commun, notamment en ce qui concerne l’indication d’un élément comme appartenant au savoir partagé par les locuteurs en présence, ils présentent néanmoins une différence majeure concernant la source du savoir. En effet, avec voilà, le locuteur B indique que le locuteur A a dit ou pensé la même chose que lui, tandis qu’avec claro, le locuteur B dit qu’il aurait pu dire la même chose que A. L’orientation locuteur-interlocuteur se trouve donc inversée dans un cas par rapport à l’autre. L’analyse du premier corpus confirme cette hypothèse. En effet, les deux marqueurs apparaissent dans un certain nombre de contextes similaires, telle la confirmation, mais voilà n’apparaît que pour valider à posteriori un élément qui faisait déjà partie du savoir commun, alors que claro peut porter sur des opinions personnelles de l’interlocuteur, que le locuteur ignore forcément avant que l’autre ne les ait formulées. Les contextes où les deux langues divergent montrent bien les spécificités des marqueurs : seul claro – et non voilà – peut être utilisé comme réponse à une vraie demande d’information ; il en va de même de la requête et de la clôture de séquence, voilà pouvant être glosé par « vous voyez ce que je veux dire », claro, en revanche, par « je vois ce que vous voulez dire ». L’absence de ces marqueurs dans le deuxième sous-corpus, où les locuteurs n’ont pas de savoir partagé, semble confirmer l’hypothèse avancée au début du chapitre.
Pierre-Don Giancarli, « Voilà (+/- que)/il y a (+/- que)/ça fait (+/- que) aspectuels et temporels en français, et leurs équivalents en anglais et en corse », p. 207-258.
L’auteur se penche sur les constructions du français où les trois éléments considérés introduisent une complémentation temporelle, qui peut être de nature nominale (ce qui leur confère un fonctionnement prépositionnel) ou phrastique (ce qui aboutit à un statut de pivot verbal). Dans un premier temps, on fait contraster, du point de vue sémantique, les emplois nominaux (localisateurs temporels d’événement) et phrastiques (mesureurs aspectuels d’intervalle), à l’exception de ça fait, dont l’absence de grammaticalisation comporte également le fonctionnement unique comme mesureur aspectuel. L’auteur souligne aussi les points communs aux trois marqueurs (possibilité d’ellipse ; invariabilité en nombre ; instanciation d’un sujet explétif, apparaissant à la suite de l’extraposition du constituant postverbal, même dans le cas de voilà, qui ne le linéarise pas ; mise en relief de l’intervalle plutôt que du procès indiqué). Dans la suite de ce chapitre, on trouvera une comparaison interlingue (français, anglais, corse) à partir d’un corpus de textes français et de leurs traductions, ainsi que des analyses consacrées à chacune des langues et à leurs microsystèmes, ce qui permettra à la fois de mettre au jour les spécificités syntaxiques et surtout sémantico-pragmatiques des différents procédés de marquage. L’opposition proposée entre un fonctionnement de re et de dicto permettant de contraster les deux types de structures dans lesquelles apparaît l’un des marqueurs du corse apparaît, de ce point de vue, comme particulièrement intéressante. Cette analyse permet notamment de montrer un caractère exclusif d’embrayeur pour voilà, alors qu’il y a et ça fait peuvent avoir un repère autre que le moment d’énonciation, via la mention d’un « dateur » absolu ou déictique et à l’utilisation des morphèmes verbaux du passé et du futur qu’ils peuvent porter. Voilà manifeste un fonctionnement différent, du fait de son invariabilité ; son caractère verbal est pourtant revendiqué par l’auteur du fait de la possibilité d’y adjoindre un sujet postverbal il ainsi qu’une modalité négative (voilà-t-il, ne voilà-t-il pas). Un point important est mis au jour à la fin du chapitre, concernant la présence d’une négation en français et en corse, mais pas en anglais, dans certains cas (d’une part : ce poème…voilà près de six mois qu’il a écrit le dernier vers vs This poem… it is now six months since he wrote the last line of it et, d’autre part : à en juger par sa taille, ça fait un moment qu’il n’a pas vu de gibier vs Judging by his size, it’s a long time since he was fed up), qui est mise en relation avec l’aspect télique (pas de négation) ou non télique (négation en fr. et en corse) du procès. Au terme de l’analyse, le français manifeste donc un fonctionnement assez homogène des trois marqueurs, dont la valeur de base – localisation temporelle ou mesure aspectuelle – est sélectionnée à travers des critères syntaxiques (la nature du constituant régi), indépendamment du marqueur utilisé, tandis que l’anglais et le corse ont recours à des marqueurs spécialisés pour les deux valeurs.
Dominique Knutsen, Gilles Col et Jean-François Rouet, « L’apport de la méthode expérimentale à l’étude de certains aspects de voilà », p. 259-297.
Les auteurs se proposent, dans ce chapitre, d’analyser les conditions d’émergence de voilà dans le discours, notamment dialogal, en s’appuyant sur les acquis de la psychologie cognitive expérimentale. L’hypothèse avancée et soumise à validation à travers le protocole expérimental relie l’émergence de voilà à une situation de complexité, d’ambiguïté, bref de surcharge cognitive, dont voilà ponctue l’issue positive. Le protocole expérimental comprend une première phase d’étude exploratoire, demandant aux locuteurs testés la reformulation verbale d’extraits de films, généralement sans parole. Voilà, en position toujours conclusive, est plus fréquent en correspondance des extraits les plus surprenants, donc difficiles à traiter, ce qui semble confirmer l’hypothèse de départ. La deuxième phase du protocole est dialogale et consiste en une tâche d’appariement à partir d’images tangram qu’un locuteur-directeur doit faire reproduire à un interlocuteur-exécutant situé dans une autre salle, le dialogue se déroulant par téléphone. Le test a été réalisé avec et sans pression temporelle sur les participants, de manière à varier la charge cognitive de la tâche. Si les résultats confirment bien la corrélation entre la charge cognitive et la production de voilà, le locuteur qui produit ces occurrences est souvent celui dont la charge cognitive est moindre. Les auteurs relient cette donnée au caractère collectif et collaboratif de l’interaction dialogale, avec répartition des tâches entre les interactants, ce qui expliquerait pourquoi le directeur intervient, avec voilà, pour pallier la difficulté de l’exécutant. Par ailleurs, la nature de la tâche, où le directeur détient une connaissance que l’exécutant ne possède pas, ajoute à cette validation une nuance de jugement de valeur.
Charlotte Danino et Gilles Col, « La perspective multimodale : quelques pistes à partir du cas de la multimodalité télévisuelle », p. 299-320.
Dans ce dernier chapitre, les auteurs proposent de prendre en compte la gestualité multimodale qui accompagne la production de voilà. Dans la perspective du grouping qui sous-tend tout l’ouvrage, il s’agit en effet de considérer ensemble perception, cognition et langage. Au lieu de considérer un invariant gestuel pour en analyser ensuite les emplois en interaction, la démarche proposée ici part d’un invariant linguistique – le mot voilà en l’occurrence – pour mettre au jour non pas le catalogue des gestes potentiellement co-occurrents mais, plus largement, les constructions multimodales, au sens de Goldberg (1995). Le corpus d’étude est constitué d’émissions télévisées peu ou pas scriptées, contexte jugé favorable à l’émergence d’un oral plus spontané. L’analyse qualitative de deux émissions de Télématin (France 2), enregistrées à deux ans de distance l’une de l’autre, de manière à vérifier de manière empirique le sentiment d’une augmentation de ce marqueur à l’oral, permet de dégager quelques cas de figure : 1) le pointage déictique (seul cas comportant un régime), avec geste redondant par rapport à l’expression verbale ; 2) la monstration sans pointage (regard sur la personne qui doit se mettre en conformité avec une instruction et détour du regard avec émission de voilà validant l’atteinte du but) ; 3) emploi interactionnel clôturant une digression et appel aux interlocuteurs, qui répondent par le rire à cette sollicitation ; 4) la validation d’un nouvel élément d’une liste produite interactivement, accompagnée d’un hochement de tête ; 5) la délimitation de la transition entre discours du locuteur et discours rapporté, accompagné d’un mouvement du buste suggérant le changement de locuteur ; 6) Voilà comme signal d’alignement, produit en écho à celui prononcé par l’interlocuteur, bien que la gestualité puisse indiquer, au contraire, un désalignement ; 7) la clôture de séquence, lorsque celle-ci est destinée à rétablir le common ground interlocutif lorsqu’un phénomène d’ambiguïté se produit. Voilà est dans ce cas accompagné d’un hochement de tête. L’exploration proposée, qui semble confirmer l’hypothèse de départ, nécessite cependant, de l’avis des auteurs, d’un complément de recherche en termes quantitatifs et méthodologiques (partir d’un mot pour explorer les gestes), sans négliger l’étude des occurrences de voilà sans gestualité co-occurrente.
[Ruggero DRUETTA]