Véronique MONTAGNE (dir.), Stratégies de la définition

di | 6 Luglio 2024

Véronique Montagne  (dir.), Stratégies de la définition, Paris, Classiques Garnier, 2022, 375 p.

L’ouvrage collectif Stratégies de la définition recueille presque une vingtaine d’études qui analysent, à partir de perspectives différentes, la « plasticité de la définition » (p. 7), ainsi que le souligne l’intitulé de la contribution de la directrice de l’ouvrage, Véronique Montagne, en ouverture du volume. Il se compose de deux parties principales qui portent respectivement sur les « Formes et lieux » (pp. 23-190) de la définition et sur la « Pragmatique de la définition » (pp. 191-372). L’ouvrage donne suite au colloque international consacré à la « Linguistique de la définition : formes, textes, discours », organisé les 21 et 22 octobre 2021 à l’Université Côte d’Azur, comme précisé au début de l’ouvrage.

Dans sa contribution introductive au volume (« Plasticité de la définition. Histoire intellectuelle d’un projet », pp. 7-19), Véronique Montagne retrace le parcours historique du projet scientifique qui en est à l’origine, en mettant en évidence à travers des ouvrages préclassiques les traces de la réflexion sur l’activité définitionnelle. Après avoir souligné la variété des formes et des fonctions de la définition, l’auteure remarque que celle-ci se trouve « entre une aspiration à l’apodictique irréfutable, la maîtrise du monde et sa proximité avec la rhétorique du probable, dans l’approche descriptive et subjective des réalités » (p. 8). La définition est ainsi considérée comme une activité spécifique, mais aussi comme le résultat qui en découle. L’étude se dirige ensuite sur les caractéristiques structurelles de la définition, sur ses traits sémantiques ainsi que sur sa dimension pragmatique. Montagne montre que les exemples analysés, tirés de textes scientifiques, politiques et littéraires du XVIe siècle, relèvent de diverses catégories, caractérisées toutefois par des frontières poreuses. Sa contribution souligne enfin la plasticité formelle et pragmatique de la définition, qui ressortira ensuite progressivement à travers ses usages variés dans le temps et dans les multiples genres de discours analysés par les études de cet ouvrage.

La première partie du volume – Formes et lieux – débute par l’étude de Marc Bonhomme (« Les définitions métonymiques dans le discours publicitaire », pp. 23-41), qui s’intéresse à la définition en tant que pratique métalinguistique au sein du discours publicitaire. À travers une sélection d’annonces tirées de magazines français et suisses romands parus entre 2004 et 2021, l’auteur se penche sur le cas des définitions métonymiques qu’il tient pour emblématique de ce type de discours. Son analyse se déroule en trois étapes en articulant autant de perspectives d’analyse. Bonhomme examine tout d’abord les configurations discursives principales des définitions métonymiques dans ces textes, en distinguant les définitions-pastiches des prédications définitionnelles. Ces dernières entrainent une relation définitionnelle entre, d’une part, la marque ou le produit publicisé et, de l’autre, une notion contiguë, ce qui se détache au moins partiellement de la relation d’équivalence sémantique propre à la définition canonique. La contribution de Bonhomme aborde ensuite la structuration textuelle où ces définitions sont insérées, avant d’examiner les stratégies argumentatives dont elles font l’objet dans ces textes. Les définitions métonymiques étudiées sont considérées par Bonhomme comme un cas marginal de la notion classique de la définition en raison de leurs traits sémantiques ; elles sont plutôt classifiées comme des définitions rhétoriques qui se distinguent, entre autres, par leur « argumentativité inhérente » (p. 41).

La contribution de Valentina Bisconti (« Pour une typologie scalaire des définitions », pp. 43-62) s’ouvre avec une réflexion sur la nature spontanée et intersubjective de la définition ainsi que sur les difficultés à en discriminer les différents types. L’auteure envisage la définition comme un « phénomène discursif ordinaire » et comme un « type d’énoncé » (pp. 43-44), dont elle souligne la variabilité en fonction des contextes de communication. Elle propose de rassembler les différentes opérations de définition en trois macro-types quel que soit le discours où elles apparaissent. Prenant appui sur un corpus qui rassemble des genres discursifs et des instances énonciatives hétérogènes, sa classification scalaire donne lieu à « une sorte de hiérarchie en termes de codification de la généricité » (p. 46). L’auteure distingue ainsi les types ostensif, extensionnel et intensionnel en fonction des opérations par lesquelles la référence est construite. Bisconti identifie ensuite des structures morphosyntaxiques, des formats sémantiques et des opérations discursives spécifiques à chacun des trois types identifiés. Elle souligne enfin la complexité de l’opération multimodale de définition qui intéresse non seulement des aspects cognitifs, linguistiques, discursifs, énonciatifs et textuels, mais aussi différents modes sémiotiques.

Le contraste entre le sérieux de la définition lexicographique et « l’esthétique non sérieuse du jeu » (p. 64) est abordé par Véronique Magri dans son étude ayant pour titre « Jouer à définir » (pp. 63-76). Son attention se dirige sur une section de l’ouvrage de Michel Leiris, Mots sans mémoire (1939), qui s’intitule Langage tangage ou Ce que les mots me disent. Étant donné que le texte étudié mime les caractéristiques typiques du glossaire, l’auteure l’envisage comme un pastiche de ce genre, qui représente par ailleurs, soutient-elle, un « parangon du travail poétique » (p. 64). Bien que le format des définitions change selon les cas, Magri repère des différences significatives dans la relation d’équivalence entre l’item et sa glose. Le niveau énonciatif des relations définitionnelles est également analysé, mettant en évidence non seulement le recours à une énonciation au je ou adressée à l’allocutaire, mais aussi la présence de détournements qui exploitent la dimension figurale des énoncés. Elle montre enfin que les définitions de Leiris peuvent se fonder aussi sur des rapprochements phonétiques plutôt que sur l’équivalence sémantique au sein d’« un jeu d’esprit qui est mené par le jeu avec les mots » (p. 74).

Dans « Définition et pseudo-définition, les formes de la misologie. Sur le Traité du style d’Aragon » (pp. 77-91), Marie-Albane Watine explore l’évolution de la définition dans le cadre du mouvement surréaliste au cours de la période entre 1920 et 1940. Après avoir repéré les différences entre les définitions et les « pseudo-définitions », Watine en distingue deux formes principales : les formes qui se caractérisent par des marqueurs linguistiques, et les formes plus interprétatives qui reposent sur une contextualisation pragmatique. L’auteure élabore « une approche intégrée selon deux gradients définitionnels, un gradient formel au sens large » et un gradient « logico-pragmatique », en proposant aussi un schéma et un tableau illustratifs (pp. 82-83). Quatre types d’énoncés définitoires sont ainsi distingués : la définition canonique, la définition, la pseudo-définition et la non-définition. L’étude offre enfin une application de cette approche scalaire dans l’analyse du Traité du style d’Aragon de 1928, un ouvrage surréaliste qui inclut de nombreux exemples de « pseudo-définitions », comme le remarque l’auteure. L’analyse approfondit quatre cas : la pseudo-définition par abus métonymique, la (pseudo)-définition intégrant une métaphore insultante, la définition négative et la définition métaphorique résomptive.

S’inscrivant dans le champ de la linguistique de corpus, la contribution d’Iris Eshkol-Taravella (« Les énoncés définitoires en ligne. Comparaison entre les discours de non spécialistes et de professionnels de santé », pp. 93-115) propose une analyse comparative des énoncés définitoires relevant de deux formes de communication en ligne autour des questions de santé : d’une part, des forums caractérisés par les interactions entre patients et, de l’autre, des plateformes qui permettent d’échanger avec des professionnels de santé. Après avoir présenté les corpus et les conventions de l’annotation manuelle préalable visant la modélisation des énoncés définitoires, une étude empirique est menée à travers une analyse quantitative et qualitative. Eshkol-Taravella catégorise les énoncés définitoires en cinq types principaux en fonction de leur structure et des marqueurs distinctifs, et elle annote également les relations lexicales qui les caractérisent. L’analyse quantitative porte sur la distribution générale des énoncés définitoires dans les deux corpus, et ensuite, pour chaque classe, sur la distribution des marqueurs et des relations lexicales. Des observations concernant la structure des énoncés définitoires et ses variations, ainsi que la mise en relief de nouveaux marqueurs sont enfin présentées dans l’analyse qualitative.

L’étude de la définition en contexte interactionnel de nature médicale fait l’objet de la contribution de Véronique Traverso (« Les définitions et leurs enjeux dans des consultations médicales avec des demandeurs d’asile », pp. 117-137). En l’occurrence, la définition est abordée comme une activité interactionnelle et elle est analysée au sein d’échanges lors de consultations médicales avec des demandeurs d’asyle en présence d’un interprète. L’étude de Traverso rappelle tout d’abord les traits distinctifs de la définition en situation interactionnelle, qui sont ensuite illustrés à partir d’exemples tirés du corpus de consultations médicales soumis à l’analyse. L’auteure suppose que, dans ce contexte, la définition peut relever de deux ordres d’exigences : des exigences déterminées par l’activité de traduction et des exigences relatives à l’objectif de la consultation. Les deux convergent toutefois vers une recherche de précision de la part des tous les acteurs engagés dans l’interaction. Trois exemples sont analysés en détail pour montrer la complexité de l’activité définitoire dans ce contexte, qui se réalise lors de séquences interactionnelles diverses et entraîne plusieurs types d’activités. L’étude fait en effet ressortir que l’activité de définition peut se combiner avec des activités d’explication, de traduction, mais aussi des activités de clarification, de description et de catégorisation.

À partir d’un corpus trilingue, l’étude de Gercélia BATISTA DE OLIVEIRA (« Relever les enjeux de la formulation d’une définition en terminologie juridique multilingue », pp. 139-157), traite des enjeux soulevés par la définition dans le contexte de la terminologie juridique relative à la fin de vie. Après avoir abordé les difficultés linguistiques et juridiques liées à la définition en contexte multilingue, à travers aussi l’exemple du terme français proposé pour « living will » (p. 140-141), la contribution illustre le rôle des outils informatiques vis-à-vis de ces questions. Elle met ensuite en valeur la « représentation graphique d’un système notionnel » offerte par « l’arbre du domaine […] qui permet de mieux appréhender la position d’une notion à définir dans la structure notionnelle sous-jacente » (p. 147). S’inscrivant dans le cadre de la théorie communicative de la terminologie, la démarche adoptée par l’auteure prévoit une approche ontologique et sémasiologique qui s’intéresse aux relations entre les notions au sein du corpus juridique en contexte plurilingue allemand, français et portugais brésilien. Batista De Oliveira souligne en outre la complémentarité entre la définition, qui répond à des exigences d’économie et de concision, et la note terminographique, qui peut en revanche apporter des informations supplémentaires pour mieux éclaircir la notion.

Dans « Formes et fonctions de la définition dans quelques grammaires de la Renaissance et de l’âge classique » (pp. 159-173), Cendrine Pagani-Naudet analyse les formes, les marqueurs et les fonctions qui caractérisent les définitions au sein de grammaires remontant à ces deux périodes spécifiques. L’étude souligne la présence de marques discursives qui permettent d’individuer les définitions, comme c’est le cas pour les définitions structurées sous la forme d’un dialogue fictif entre le précepteur et le disciple. Des marques typographiques ou des notes contribuent également à signaler et à circonscrire la présence de la définition dans ces textes. Des fonctions diverses sont aussi mises en relief dans l’étude de Pagani-Naudet. Elle montre que, d’une part, la définition remplit la fonction d’illustration de la langue française, en fournissant des usages représentatifs. De l’autre, l’énoncé définitoire constitue une « stratégie didactique » (p. 166) utilisée pour expliquer un concept et favoriser sa compréhension. Eu égard au rôle des grammaires, Pagani-Naudet remarque enfin que « [l]a richesse formelle des définitions renvoie ainsi à la variété d’un genre dont les finalités sont complexes, et pour le français langue maternelle de moins en moins claires au fil des siècles » (p. 171).

Adoptant une conception large de la définition du point de vue discursif et pragmatique, la contribution d’Agnès Steuckardt et de Nesrine Raissi (« Formes et fonctionnements de la définition dans les témoignages de Rivesaltes », pp. 175-190) s’intéresse aux formes principales de l’acte définitoire dans le discours ordinaire. Plus précisément, l’attention est dirigée sur la relation entre le défini et le définissant dans le cadre d’entretiens de témoignage recueillis dans le camp de Rivesaltes. L’étude se penche tout d’abord sur les formes des énoncés définitoires, distinguant la définition indirecte, qui procède d’une « équivalence entre deux référents » (p. 177), de la définition directe, qui entraîne la présence d’un métaterme. L’analyse porte ensuite sur les énoncés définitoires en c’est-à-dire et en dresse une typologie, avant de montrer leurs fonctions pragmatiques. Les auteures distinguent ainsi trois cas : le rôle de joncteur de c’est-à-dire, la mise en équivalence référentielle activée dans un contexte déterminé, et les procédés de traduction mobilisés. Les cas repérées sont ensuite rattachés à deux types de fonctions : les définitions par inclusion et par prototype. Steuckardt et Raissi soulignent enfin la variabilité des énoncés définitoires dans le discours ordinaire qui dépend non seulement du genre discursif, mais aussi du style individuel.

La deuxième partie de l’ouvrage – Pragmatique de la définition – s’ouvre avec la contribution d’Anna Jaubert qui propose une réflexion sur la dimension pragmatique de la définition, se posant à la charnière entre les deux parties du volume. Dans « Quelle pragmatique pour une visée universalisante ? » (pp. 193-201), Jaubert remarque la complexité et la variabilité des formes de la définition, bien qu’elles partagent une stabilité pragmatique. D’après l’auteure, il est en effet possible de « trouver un socle commun dans la visée pragmatique de son orientation universalisante » (p. 193). L’auteure reconnaît en outre à l’activité définitionnelle une dimension objectivante, qui procède des modalités discursives par lesquelles elle se réalise, et notamment par l’acte d’assertion. Cependant, Jaubert ajoute ensuite que « cette attitude énonciative est trompeuse. La définition ne se borne pas à dire ce que sont les choses, elle les fait être comme elle les dit » (p. 194). La nature argumentative de la définition résulte ainsi de l’influence qu’elle exerce sur la représentation du réel. Jaubert voit dans la définition « un précurseur de performativité » (p. 194) et attire l’attention sur le positionnement du locuteur qu’elle implique, ainsi que sur la visée de l’acte de son énonciation qui s’ancre aux niveaux social et générique.

La contribution d’Alain Rabatel, « Une approche pragma-énonciative des batailles de définition » (pp. 203-218), se penche sur les marques des définitions qui sont « soumises à des tensions centripètes ou centrifuges relatives au choix des caractéristiques essentielles à la définition de l’objet » (p. 203) dans le cadre de « batailles de définition » de nature linguistique. L’auteur souligne que ces dernières se caractérisent par une dimension dialogique explicite, déterminée par les définitions prises en compte pour justifier la (re)définition proposée. À travers un retour réflexif sur son propre travail, Rabatel analyse deux redéfinitions qu’il avait avancées dans des études antérieures. Dans le cas de sa redéfinition de la notion de reformulation, l’auteur montre la co-présence de formes de modalisation, qui l’encadrent comme une proposition, avec des marques évaluatives, qui signalent le point de vue du locuteur engageant le débat. Il met en évidence également la « dimension critique et cumulative » (p. 211) de la démarche scientifique adoptée, qui discute les apports des travaux antérieurs, ainsi que la portée argumentative des explications et des exemplifications fournies. Le deuxième cas analysé concerne une redéfinition de la notion d’argumentation dans le cadre d’« un enrichissement des définitions dominantes » (p. 213). La complexité du concept à définir et la nature explicitement dialogique de la bataille découlent ici d’une pluralité de marques de nature modalisante, citationnelle, mais aussi métalinguistique et métadiscursive.

Fondée sur une recherche ethnographique, la contribution de Paul Sambre (« Actes définitoires contre-hégémoniques en territoire mafieux. Vers une praxis de la définition aristotélicienne en langue naturelle », pp. 219-234) aborde des pratiques définitoires de nature contre-hégémonique en reconsidérant le statut théorique du modèle aristotélicien de la définition. Son objectif est de « fonder le statut sémantique de la définition située en discours, d’une manière pertinente pour notre objet d’étude », comme l’affirme-t-il (p. 221). La première analyse proposée concerne des actes définitoires extraits d’une interview semi-structurée menée par l’auteur avec un activiste d’une oliveraie confisquée. Sambre montre que la redéfinition se fonde en l’occurrence sur le changement des activités de travail réalisées, un changement qui s’exprime au niveau énonciatif par un nous inclusif soulignant la nature de coopération propre au travail agricole. L’étude porte ensuite sur les actes de (re)définition du territoire réemployé à des fins sociales. L’auteur souligne que ces actes définitoires contre-hégémoniques dépendent à la fois d’un plan matériel et d’un plan abstrait. D’après Sambre, ces définitions doivent être envisagées en mettant en relation le discours et les faits, puisque le statut sémantique de l’acte implique une dimension intersubjective et pragmatique en lien aussi avec la praxis et l’éthique.

Dans « Qu’est-ce qu’un Français de souche ? Définition(s) et représentations du Français de souche dans les débats télévisés » (pp. 235-253), Houda Landolsi fait émerger les enjeux pragmatiques liés respectivement à la dénomination Français de souche, à la définition de la notion associée ainsi qu’à l’imaginaire identitaire impliqué. L’attention de l’auteure se dirige sur la fonction argumentative des énoncés définitoires de cette notion lors de débats télévisés ou d’interviews où interviennent des représentants politiques, des journalistes et des écrivains. La première partie de l’étude analyse les traits principaux des définitions avancées en contexte dialogal où la dénomination est utilisée par les locuteurs d’abord pour identifier soi-même et ensuite pour proposer une définition générale. La contre-argumentation au sein des réactions que ces définitions ont soulevées fait l’objet de la deuxième partie de l’analyse. Landolsi montre que la contre-argumentation se réalise, d’une part, par la réfutation de la définition avancée, signalant le manque de correspondance avec le réel, et, de l’autre, par la mise en évidence des implicites liés aux définitions de cette dénomination. L’auteure remarque enfin que la polémique procède de différents éléments de l’énoncé définitoire, mais aussi de ressources argumentatives telles que l’exemple, l’ironie et la réfutation.

Les enjeux socio-politiques de l’activité définitionnelle dans des contextes de critique politique des usages de la langue sont au centre de la contribution d’Alice Krieg-Planque (« Définition et signification dans les discours engagés. À propos des enjeux politiques et sociaux de l’activité définitionnelle », pp. 255-272). La définition est envisagée par Krieg-Planque comme une activité discursive en relation avec des pratiques sociales. L’auteure attire ainsi l’attention sur son développement dans l’énonciation, ainsi que sur le processus interactionnel duquel elle résulte. De plus, la définition peut également représenter, d’après l’auteure, un objectif à atteindre de la part d’une action militante de nature politique et/ou sociale. D’où sa conception en termes d’« activité définitionnelle » et encore de « pratique discursive socialement instituée » (p. 255). L’étude de Krieg-Planque se penche sur des corpus recueillant des discours authentiques, dont l’hétérogénéité favorise la saisie de la pluralité de formes, de procédés et d’opérations par lesquelles l’activité définitionnelle peut se manifester en discours. L’analyse porte sur trois éléments principaux mobilisés dans une critique des usages de la langue de la part de locuteurs « ordinaires » : le dictionnaire politique, le dictionnaire de la langue et l’inflexion des discours juridiques. Son étude montre que « l’activité définitionnelle est au cœur [de la réflexivité langagière] de l’engagement politique et social » (p. 271-272).

La contribution de Camille Bouzereau (« L’énoncé définitoire dans les discours du Front National (2000-2017) », pp. 273-286) approfondit le rôle des énoncés définitoires liés à des concepts politiques au sein des discours des présidents du Front National Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen. Le premier cas analysé concerne la définition de la nation qui implique une valorisation positive d’ordre affectif à travers une prédication attributive. D’autres éléments identifiés lors d’énoncés définitoires chargés positivement sont le marqueur de reformulation c’est-à-dire, et la négation restrictive visant la réfutation interdiscursive d’autres définitions. La deuxième série d’exemples analysés porte en revanche sur des énoncés définitoires de concepts chargés négativement par les locuteurs analysés, comme le montre Bouzereau à partir de plusieurs définitions d’immigration. Le cas de la négation polémique dialogique, qui s’oppose à d’autres discours par la construction d’un contre-discours, s’accompagne du recours à une nouvelle dénomination visant à « objectiver la vision politique du FN » (p. 282). La progression de l’analyse s’achève sur un exemple de renomination qui propose de nouvelles représentations négatives du référent. L’étude montre enfin qu’« [e]n modifiant positivement ou négativement la représentation des concepts, ces définitions servent une fin politique précise » (p. 285).

Dans « Les procédés argumentatifs révélateurs de traits définitoires. Le concept de “harcèlement sexuel” dans l’espace public québécois » (pp. 289-303), Véronique Durocher analyse les traits définitoires de « harcèlement sexuel » qui font l’objet de procédés argumentatifs dans des discours concernant les dénonciations déclenchées en 2017 par le mouvement #MoiAussi au Québec. Son étude s’intéresse aux changements sémantiques déterminés par le passage d’un discours spécialisé – en l’occurrence, le discours juridique – aux discours médiatiques et d’internautes. L’analyse des discours médiatiques met en évidence deux procédés argumentatifs principaux : l’exemple et l’antithèse. Plusieurs procédés sont en revanche repérés dans des commentaires d’internautes associés à des contenus publiés sur Facebook par les journaux envisagés. D’une part, le procédé de l’exemple peut relever d’un cas générique, d’un témoignage, mais aussi de contre-exemples. De l’autre, l’argument d’autorité peut prendre la forme de liens URL, mais aussi de données chiffrées et de statistiques. L’auteure souligne également l’autorité des victimes qui peut marquer ces discours d’internautes. Durocher conclut que les discours médiatiques analysés présentent un nombre réduit de traits définitoires par rapport aux caractères définis par le discours juridique. Les caractères ressortissant des discours d’internautes sont en revanche plus nombreux.

L’analyse de la définition dans un genre de débat télévisé particulier, dont relève l’émission britannique Question-Time, fait l’objet de la contribution de Laurent Rouveyrol (« To define is to limite… Quelques repères à propos des stratégies définitionnelles dans le débat britannique Question-Time », pp. 305-325). Après avoir illustré les caractéristiques distinctives du cadre interactionnel envisagé, l’étude examine le cas de la définition d’une situation associée à une activité d’explication, qui peut être ensuite redéfinie par l’intervenant suivant. L’auteur remarque que l’acte de redéfinir peut non seulement être supporté par l’explication, mais il peut même servir pour disqualifier l’interlocuteur sur la base de sa capacité de compréhension de la situation débattue. Rouveyrol identifie un schéma argumentatif propre à cette forme de débat qui se compose de trois étapes : la définition, la justification et la conclusion double (p. 321). Enfin, au niveau énonciatif, il signale le marquage de la subjectivité énonçante. Il s’agit là, d’après l’auteur, d’un trait distinctif de ce genre de discours où l’explicitation de la subjectivité va de pair avec la mise en avant d’une prise de position sur la situation définie. L’étude de Rouveyrol montre le rôle de l’acte de définition dans ce contexte spécifique où il participe au déploiement de l’argumentation.

Constituant la conclusion de l’ouvrage, la contribution de Jean-Marie Klinkenberg (« Conclusions. La définition comme catégorisation : mise en place, usages, structures », pp. 327-340) met en relief la difficulté à délimiter la définition en raison de l’hétérogénéité de ses formes et de ses fonctions. Voilà pourquoi il propose de l’envisager non pas comme « un objet mais plutôt [comme] un espace, un carrefour » (p. 328-329). L’auteur retrace ensuite des traits caractéristiques de la définition ressortis au fil des études de l’ouvrage : des marqueurs et des structures discursives, aux contraintes contextuelles jusqu’aux stratégies énonciatives et aux fonctions pragmatiques. Selon Klinkenberg, l’acte de définition correspond à « la mise en place d’une catégorie, par des moyens verbaux » (p. 330), et cela procède de trois formes de stabilisation : la stabilisation dans le temps, la stabilisation dans l’objet, et la stabilisation intersubjective (pp. 331-333). Klinkenberg met en valeur également la portée argumentative de la définition qui peut contribuer à transformer la vision de l’objet. La structure discursive de la définition représente la dernière question abordée par l’auteur qui souligne en particulier le rôle de la relation tout-parties entre le definiendum et le definiens. Une formule canonique est enfin avancée pour décrire la structure de la définition, tout en soulignant les variations auxquelles elle est sujette dans ses actualisations discursives.

Le volume s’achève sur une bibliographie générale, séparant les corpus d’étude et les références critiques (pp. 341-360), suivie d’un index des noms propres (pp. 361-365) et des résumés des dix-neuf contributions (pp. 367-372).

[Claudia CAGNINELLI]