Rachele RAUS, Francesca BISIANI, Maria Margherita MATTIODA, Michela TONTI (éds.), Multilinguisme européen et IA entre droit, traduction et didactique des langues

di | 5 Febbraio 2025

Rachele Raus, Francesca Bisiani, Maria Margherita Mattioda, Michela Tonti (éds.), Multilinguisme européen et IA entre droit, traduction et didactique des langues, De Europa, Special Issue 2023, p. 516 https://www.collane.unito.it/oa/items/show/195#?c=0&m=0&s=0&cv=0

Sous la coordination de Rachele Raus, Francesca Bisiani, Maria Margherita Mattioda et Michela Tonti, la revue De Europa a publié en 2023 un numéro spécial qui réunit les contributions interdisciplinaires et multilingues menées par le groupe de recherche sur les droits et les variations linguistiques en Europe dans le cadre du projet Jean Monnet Centre d’excellence intitulé Artificial Intelligence for European Integration — AI4EI. Le projet, cofinancé par la Commission européenne et promu par l’Université de Turin, est un hommage rendu à Umberto Morelli, considéré comme « un modèle professionnel et humain non seulement pour le groupe de recherche qu’il a dû quitter prématurément mais aussi pour toutes les personnes qui ne pourront le connaître que par la lecture de ses recherches et des projets, qu’il a su coordonner avec enthousiasme et dévouement absolu. Il a toujours su motiver les personnes avec lesquelles il a travaillé et avec qui il a toujours su créer un lien de confiance et surtout d’amitié » (p. 13).

L’ouvrage est structuré en deux parties complémentaires reliant l’intégration de l’IA dans les langues, le droit et la traduction avec la présentation des expérimentations pédagogiques menées par les universités participant au projet. À la fin, on retrouve les Annexes qui incluent plusieurs types de questionnaires : questionnaire de début (Q1) et de fin de cours (Q2), questionnaire concernant le genre au sens des gender studies (_GR), questionnaire sur les genres textuels (_GT), questionnaire avec intégration des questions sur les transcriptions orales automatiques (_TRANSO) et questionnaire avec intégration des questions sur la terminologie (_TERM).

La première partie intitulée Penser l’intelligence artificielle entre langues, droit et traduction réunit les contributions issues du colloque L’intelligence artificielle (IA) et le multilinguisme juridique européen qui a été organisé par l’Université Catholique de Lille le 26 mai 2023 en partenariat avec le Centre d’excellence Jean Monnet Artificial Intelligence for European Integration. Les huit contributions portent sur l’intelligence artificielle (désormais IA) et le multilinguisme européen par rapport au droit sous ses multiples aspects : la traduction juridique automatique et la terminologie juridique en relation avec l’utilisation de l’IA. Dans Intelligence artificielle, langues et droit :  réflexions au carrefour de la doctrine juridique, de la traduction et de la terminologie, Francesca Bisiani et Michela Tonti présentent la structuration, la thématique et la méthodologie utilisées dans les contributions classifiées selon la diversité des approches et des cas d’études.

La première sous-section Évolutions et tendances de la traduction à l’époque de l’IA est consacrée aux changements majeurs apportés par l’usage massif des intelligences artificielles traductologiques aux niveaux de la société, des institutions et du marché économique.

En effet, dans Quels enjeux pour l’intelligence artificielle linguistique ? Rétribution, Risques, Régulations, Claire Larsonneur tire un signal d’alarme contre les risques juridiques, linguistiques et économiques liés à l’évolution de l’IA portant prioritairement sur les aspects suivants : la désinformation, la rétribution des professionnels, l’exploitation massive des données personnelles, le multilinguisme.  Dans l’article Human and machine translation of legal terminology in  international institutional settings: A case study, Diego Guzmán et Fernando Prieto Ramos traitent de l’usage de la traduction neuronale pour la traduction de la terminologie juridique dans une étude qualitative comparative des traductions humaines et automatiques en espagnol et en français de cinq termes (court of appeal, high court, magistrates court, due process et prima facie evidence) mettant en évidence les conflits d’interprétation qui peuvent apparaître. Dans son étude pilote intitulée ChatGPT et traduction intralinguistique inclusive :  une étude pilote, Michela Tonti examine un échantillon de fiches de vulgarisation portant sur des macro-thèmes ayant trait à des questions juridiques d’intérêt général afin de mesurer la capacité de la part de ChatGPT à reconnaître le masculin générique et à le reformuler en français pour les noms de grade, titre et fonction dans la perspective des institutions européennes d’adopter un langage neutre.

            La sous-section L’intégration de l’IA sur le plan européen et international : bilan et enjeux est dédiée au multilinguisme et à la revalorisation de la diversité linguistique dans les institutions et les espaces multilingues. Elle s’ouvre avec l’article Synonymie et intelligence artificielle de Marie-Josée de Saint Robert, ancienne fonctionnaire aux Nations unies, qui examine de manière critique les avantages et les inconvénients de l’IA traductive Deepl appliquée à des extraits anglais-français de textes officiels institutionnels, proposant à la fois un programme de recherche pour la remédiation des failles de la traduction. La contribution de Evgeniia Volkova, La diversité dès la conception : quel cadre légal européen pour empêcher le « linguicisme » dans les systèmes de reconnaissance vocale?, étudie les applications de l’intelligence artificielle dans les systèmes de reconnaissance vocale, de la transcription de la parole, de l’évaluation des candidatures dans les processus d’embauche et des outils d’assistance aux personnes souffrant de troubles de la parole ou de déficience auditive. Elle soulève la problématique du risque du linguicisme pour les utilisateurs vulnérables défini comme « des actes de discrimination linguistique, à l’égard des personnes, qui ne parlent pas la langue du pays d’immigration ou qui la parlent de manière différente » (Archibald 2009 : 33). Finalement, l’article Multilinguisme et technologie numérique dans l’Union européenne: réalités et enjeux de justice d’Isabelle Pingel a pris comme objet d’étude la plateforme IATE («Inter-Active Terminology for Europe / Terminologie interactive pour l’Europe») pour souligner sa contribution au développement du multilinguisme au moins pour deux raisons : gagner du temps et permettre à l’Union de respecter sa devise: Unie, certes, mais dans la diversité.

La sous-section Transformation du droit face au développement de l’IA réunit deux articles mettant l’accent sur les limites de l’IA dans la possibilité de «faire du droit» ou de concevoir une plaidoirie. Même si dans le premier article intitulé L’intelligence artificielle et l’avenir du droit Akram El Mejri reconnait le potentiel de l’intelligence artificielle comme source du droit : « Les programmes d’intelligence artificielle, en particulier ceux dotés d’une aptitude en matière de traduction, pourraient s’ériger en sources officieuses du droit en permettant la circulation des concepts juridiques à l’échelle mondiale » (p. 185), il finit avec une question sans réponse : « Par ailleurs, les programmes d’intelligence artificielle utilisés seront-ils capables d’offrir une représentation fidèle de l’état du droit positif, de sa complexité, de ses nuances, de ses contradictions inhérentes à sa nature même ?(p. 34). Dans le deuxième article intitulé La sacralité de la plaidoirie face à l’émergence de l’intelligence artificielle: l’état de la justice à l’époque de la neutralité technique du procès, Marwa Mzati souligne l’importance et la sacralité de la plaidoirie considérée comme une «prérogative» de l’intelligence humaine, étant donné que le jugement implique l’application d’une série de facteurs que ‘le numérique ne sait pas «encore» faire’: la compréhension du contexte et une adaptabilité de la règle juridique aux cas concrets.

La deuxième partie du livre est dédiée aux expérimentations pédagogiques menées par les universités qui ont participé au projet dans la perspective de proposer des mesures pertinentes pour une intégration réussie des dispositifs de l’intelligence artificielle. Dans L’intelligence artificielle en salle de classe : la perception des étudiantes et des étudiants, Rachele Raus et Maria Margherita Mattioda révèlent le risque d’utiliser les applications de l’IA au minimum ou de manière superficielle. En effet, les auteures soulignent les avantages de la mise en œuvre des pratiques pédagogiques pour la gestion des applications de l’IA comme la littératie numérique en contexte universitaire par des activités de formation en langues ou dans d’autres domaines.

La sous-section Traduction automatique neuronale : qualité, compétences, formation rassemble trois articles portant sur les enjeux de la traduction automatique neuronale (TAN) concernant prioritairement ses capacités de traduction automatique limitées au traitement statistique et distributionnel des données textuelles et cotextuelles.

S’interrogeant sur la performance des logiciels de l’IA dans les industries de la langue dans Qualité de la traduction automatique dans le domaine de la mode durable, du changement climatique et de l’environnement, Martina Alì, Silvia Calvi et Klara Dankova nous offrent une description des activités didactiques visant à la sensibilisation à la traduction automatique des étudiant.e.s de Master 1 de l’Università Cattolica del Sacro Cuore et une liste des écueils de la traduction automatique : l’emploi incohérent de la terminologie, la traduction erronée des expressions figées, le traitement imprécis des éléments culturels. Se situant sur la même ligne pour renforcer l’idée de la contribution humaine à l’assurance de la qualité dans le domaine de la traduction, Maria Margherita Mattioda et Ilaria Cennamo (La traduzione automatica neurale per una formazione  professionalizzante: una riflessione sulle competenze) mettent en relation la formation des compétences à travers les systèmes néuronaux par une expérience d’enseignement expérimentale sur les perceptions de l’apprenant lorsqu’il interagit avec différents systèmes neuronaux de traduction automatique dans deux questionnaires administrés au début et à la fin de l’expérience. Dans L’intelligence artificielle (IA) et le multilinguisme: le point de vue d’étudiants en langues, Solenn Aliji et Lucie Gournay font une évaluation du profil linguistique des étudiants anglicistes par un questionnaire visant à définir leur position par rapport aux différentes outils linguistiques de l’IA. La conclusion met en évidence une certaine méfiance due à leur peur face à une potentielle perte de contrôle devant les machines.  

La sous-section Sensibilisation aux enjeux de la traduction neuronale inclut deux contributions dédiées à l’intégration de l’IA dans la formation des traducteurs. Dans Description d’un parcours de sensibilisation aux enjeux de l’IA en traduction : le cas de l’Université de Gênes, Micaela Rossi souligne l’apport des nouvelles technologies aux formations de licence ou master dans le domaine de la médiation linguistique par l’analyse d’un questionnaire visant la comparaison de la traduction automatique (réalisée par deux plateformes Google translate et Deep-L) d’un extrait du roman d’Erik Orsenna La grammaire est une chanson douce avec la traduction italienne publiée par Salani et réalisée par Francesco Bruno (2010). Une enquête sur les limites actuelles de l’intelligence artificielle (IA) et de la traduction automatique (TA) a été menée par Alessandra Molino auprès d’apprenants d’anglais de niveau supérieur à l’Université de Turin dans sa contribution intitulée Promoting machine translation literacy: A focus on gender misltranslations and bias in English-Italian. L’auteure souligne l’importance de développer des capacités de pré- et post-édition pour les traducteurs en formation qui doivent acquérir des compétences analytiques pour jouer le rôle de « médiateurs interculturels » capables de gérer toute une série de difficultés culturelles et terminologiques dans le transfert du sens d’une langue à l’autre.

La dernière sous-section IA, oralité et transcription change le contexte de l’enseignement des langues étrangères dans les filières de traduction par l’intégration de la transcription de l’oralité comme instrument d’aide à la traduction. Dans Les ateliers de traduction et de transcription de FLE à l’aune de l’IA, Alida Silletti interroge les étudiant.e.s en Sciences politiques et en Sciences des administrations sur l’impact de l’intelligence artificielle (IA) et de ses outils dans la transcription de l’oral à l’écrit. Au-delà de la rapidité d’exécution, l’utilisation de l’AI pose le problème de la spécificité de la traduction du texte politique qui implique « interprétation, configuration et reconfiguration du monde » (p. 364). Lucia Cinato prolonge le débat sur l’oralité dans Tecnologie avanzate per la traduzione automatica dell’oralità:  un confronto tra alcuni sistemi di trascrizione e traduzione per le lingue tedesco e italiano, une contribution présentant les résultats d’une expérimentation menée auprès d’étudiants en communication internationale pour le tourisme de l’Université de Bologne. Vu les difficultés de transcrire les mots composés, l’incapacité de détecter la ponctuation, la difficulté de reconnaître les noms de lieux et de personnes et la désambiguïsation du vocabulaire en fonction du contexte, l’auteure propose les systèmes de pré-édition et de post-édition comme des stratégies pour améliorer les risques de l’intégration des nouvelles technologies dans la formation des traducteurs.

À la fin de cette lecture si enrichissante, il apparait évident que nous avons à notre disposition un véritable instrument de travail proposant des pistes de recherche, des suggestions et des idées novatrices pour les formateurs en langues, traducteurs et spécialistes en IA qui s’interrogent et qui sont intéressés par l’intégration des nouvelles technologies dans leurs pratiques de recherche ou d’enseignement.


[Daniela Dincă]