Claude COSTE (dir.), Dictionnaire Roland Barthes

di | 23 Febbraio 2025

Claude COSTE (dir.), Dictionnaire Roland Barthes, Paris, Honoré Champion, 2024, 994 pp.

Ce Dictionnaire riche et imposant par nombre de pages et de collaborateurs, se veut un instrument élaboré par des savants à l’usage des autres lecteurs. Cette entreprise collective réunit en effet les spécialistes les plus reconnus et les jeunes chercheurs venant de Bologne, de Tokyo ou de Téhéran. La liste des contributeurs donne ainsi à lire la dimension globale de l’intellectuel suscitant un intérêt bien au-delà des frontières de la langue et de la culture française. Les 350 entrées répondent à une triple ambition : apporter un ensemble d’informations, proposer l’analyse de tel article ou de tel ouvrage et esquisser la réception d’un livre ou d’un concept. Une bibliographie sélective aiguillonnant le lecteur accompagne chaque mot-valeur.

De la tragédie grecque à la photographie et de la publicité à l’haïku, chaque objet d’intérêt et d’étude de l’intellectuel trouve sa place à l’intérieur du Dictionnaire. Il ne manque ni le cinéma, auquel Barthes consacre plusieurs articles entre les années 1950 et les années 1970, ni les arts plastiques que Barthes affectionne parce qu’ils peuvent représenter l’illisible.

Feuilletant le Dictionnaire, force est de reconnaître l’influence et la récurrence de quelques noms : Balzac, Benveniste, Jakobson, Proust, Saussure. Si le nom de Balzac est régulièrement convoqué à partir de Le Degré zéro de l’écriture, écrit Damien Zanone, l’auteur de la Recherche habiterait l’œuvre de Barthes, d’après Tom Baldwin, comme une série d’intensités, à la manière de punctums. Les trois entrées dédiées à Saussure, à Benveniste et à Jakobson déploient l’inventivité de Barthes tout comme sa capacité à absorber et à transformer des concepts et des outils forgés par d’autres : plutôt que de faire de la linguistique une branche de la sémiologie, écrit Mathieu Messager, Barthes fonde la sémiologie comme une branche de la linguistique. Science utopique et euphorique, sans cesse remaniée et redéfinie, la sémiologie de Barthes, reste, d’après Zenkine, une entreprise très personnelle et peu imitable. Si la lecture de Saussure est à l’origine de cette science nouvelle, les deux volumes de Benveniste, Problèmes de linguistique générale, éveillent l’attention de Barthes pour les opérateurs linguistiques liés à la situation d’énonciation, écrit Serge Zenkine.

Ce Dictionnaire permet d’entrer, pour ainsi dire, dans les coulisses de la création de l’intellectuel. Claude Coste nous parle du Fichier, composé de plusieurs milliers de fiches de papier que Barthes découpait lui-même. À la fois outil de recherche et journal intime, témoin de passions risibles ou durables, ce fichier, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, constitue un objet unique et dont la force résiderait dans son dynamisme. Roland Barthes par Roland Barthes mais aussi La Chambre claire viennent de ce fichier ; le Journal de deuil publié posthume et le projet inachevé Vita nova, le roman que le sémiologue rêvait d’écrire, s’ancrent aussi dans ce Fichier bientôt disponible dans une version numérique.

L’entrée d’Alexandre Gefen sur la « Littérature » revient sur un constat : comme critique, écrit Gefen, la littérature est pour Barthes un objet à historiciser et à replacer dans une sémiologie générale des discours mais comme écrivain la littérature est sa maîtresse de vie. Si au début des années 1960 Barthes invite à la désacraliser, à la toute fin des années 1970, l’écrivain s’y réfugie pour surmonter la perte de sa maman et la déréliction qui suit.

Ce n’est pas un hasard si Andy Stafford écrit une entrée consacrée au « Romanesque », notion barthesienne par excellence, et qui désignerait le roman sans le récit. Ce “romanesque” intellectuel est à l’œuvre dans Roland Barthes par Roland Barthes mais aussi dans les Fragments d’un discours amoureux et dans La Chambre claire. Pourtant, à la fin de sa vie, Barthes semble être tenté par la forme narrative du roman. Sa mort accidentelle a eu le dernier mot sur son ambition ou bien sur son fantasme.

De la bathmologie, désignant, d’après Sémir Badir, le jeu des degrés de sens dans lequel est prise l’interprétation de tout discours, au troisième sens, indiquant quelque chose d’excessif et de l’ordre de la dépense inutile d’après Yue Zhuo, toute la richesse de la pensée barthesienne se déploie dans ce Dictionnaire à la fois savant et savoureux. Pariant sur l’hétérogénéité de ses collaborateurs, Claude Coste a veillé à la construction d’un ouvrage riche et pluriel, scientifique et intime. Entre Encyclopédie et glossaire, ce Dictionnaire ambitionne à pérenniser l’œuvre barthesienne.

[Fabio LIBASCI]