Cristina Varga et Maria Teresa Zanola (dir.), Terminologies émergentes et traduction spécialisée

di | 27 Febbraio 2025

Cristina Varga et Maria Teresa Zanola (dir.), Terminologies émergentes et traduction spécialisée, Studia Universitatis Babes-Bolyai Philologia, Volume 69(1), 2024.

http://www.studia.ubbcluj.ro/arhiva/cuprins_en.php?id_editie=1549&serie=PHILOLOGIA&nr=1&an=2024

Le numéro 1/2024 des « Studia Universitatis Babeș-Bolyai, série Philologia » est consacré au thème des terminologies émergentes et de la traduction spécialisée dans différentes langues, en particulier dans les langues romanes. Plusieurs approches de la recherche terminologique actuelle y sont illustrées (la néologie terminologique, la phraséologie spécialisée, les relations lexicales et la dimension cognitive-sociale de la terminologie, la métaphore terminologique) et des sujets et domaines très variés y sont abordés (la mode, l’éthique, les nanosciences, l’énergie verte, la blockchain, le droit et la faune marine).

L’étude de Silvia Calvi, Développement durable et mode : réflexions terminologiques (pp. 35-49), analyse la terminologie nouvelle de la mode durable, qui a connu une rapide évolution au cours des dernières années, due aux avancées techniques récentes de ce domaine, qui se trouve à la croisée entre langue générale et langue de spécialité. L’étude explore le risque de manque de clarté dans la communication internationale auquel les consommateurs sont exposés à cause de la continuelle naissance de néologismes et de la diffusion de nombreux anglicismes. L’auteure conduit son enquête dans un corpus de référence, composé de textes en langue française publiés de mars 2022 à mars 2023, représentatif de différents degrés de spécialité (documents institutionnels, textes du commerce en ligne, articles de revue de mode). S’appuyant sur le cadre théorique de la Lexicologie Explicative et Combinatoire (LEC), l’auteure analyse un échantillon de termes simples et complexes et se focalise sur la présence dans le corpus de collocations à collocatif adjectival présentant des sémantismes récurrents dans la langue générale et dans le domaine de la mode durable, ainsi que de collocations conceptuelles à collocatif adjectival typiques des domaines de spécialité. L’analyse par sous-corpus d’appartenance des termes et des collocations identifiés, qui sont examinés aussi dans des ressources lexicographiques et terminologiques de contrôle, révèle l’hétérogénéité des applications de ce domaine et permet de montrer le caractère interdisciplinaire de ce secteur et de ses sous-domaines. Cette étude dresse un premier bilan sur les stratégies de création terminologique, et décrit les termes et les collocations typiques du point de vue de leur formation, témoignant du dynamisme du secteur pris en considération.

L’objectif de l’étude de Klara Dankova – Tout est « éthique »… mais c’est une éthique à étiqueter? (pp. 51-73) – est celui d’identifier les sens véhiculés par l’adjectif « éthique » dans différents domaines de spécialité,  notamment pour ce qui est des concepts émergents, depuis que la fréquence d’emploi de cet adjectif a augmenté remarquablement à partir des années 1980 du siècle dernier. L’auteure analyse un échantillon de combinaisons N + éthique extraites du corpus French Web 2020 (frTenTen20), disponible dans Sketch Engine, en ne retenant que celles qui ont le statut de terme – ou qui pourraient l’acquérir dans le futur – et dont le contenu conceptuel peut changer en fonction de la théorie considérée. En considérant les six sens d’« éthique » déterminés par Létourneau (2005), l’auteure se concentre sur les domaines dans lesquels « éthique » acquiert des sens spécifiques : le domaine de la gestion, qui joue un rôle de premier plan, le secteur du commerce, le domaine de la mode, considéré en tant que sous-domaine du commerce, de l’agroalimentaire et de l’alimentation, de la finance, pour n’en citer que les principaux. L’enregistrement de ces domaines a été ensuite vérifié dans trois bases de données terminologiques : le Grand dictionnaire terminologique (GDT), Termium Plus et IATE. Les combinaisons absentes de ces ressources et qui n’appartiennent pas au domaine de la philosophie, de l’éthique et de la morale, sont considérées comme des candidats néologismes et examinés dans les articles du journal Le Monde (octobre 2019-juillet 2023). Il ressort de l’analyse que le contexte d’emploi s’avère décisif pour le ou les sens véhiculés par « éthique », et que leur contenu conceptuel n’est pas encore stabilisé. Cela se traduit d’ailleurs par la diffusion de plusieurs définitions, qui mettent en évidence des propriétés différentes du concept.  A travers l’analyse d’une série de syntagmes controversés, dont la dénomination désigne une pratique qui ne peut pas être considérée nécessairement comme « éthique » (ex. la chasse et l’abattage), l’auteure dresse les caractéristiques principales d’une terminologie « éthique » émergente et souligne l’importance de l’observer en vue de la protection des citoyens et consommateurs et dans le but de contribuer à la clarté terminologique dans ses domaines d’intérêt.

Dans leur étude, Traduire la terminologie des nanosciences : du français vers l’italien et le roumain (pp. 75-94), Daniela Dinca et Chiara Preite abordent la relation complémentaire qui s’établit entre la terminologie de deux domaines émergents pour le grand public, les nanosciences et les nanotechnologies, et sa traduction de l’anglais comme langue source vers le français, l’italien et le roumain. En se basant sur leur expérience de traduction d’un Glossaire multilingue des nanosciences et nanotechnologies, élaboré par un expert, le physicien Stefano Ossicini, les auteures examinent dans un premier temps les stratégies de néologie terminologique mises en place pour former les équivalents des termes en anglais dans les trois langues examinées, en s’appuyant sur la consultation de manuels du domaine, de bases de données terminologiques fiables et en ayant recours au web comme corpus, lorsque cela s’avère nécessaire. Les équivalents par lesquels les trois langues romanes traduisent les termes anglais figurent en tant que néonymes d’appoint (ou néologismes terminologiques) pour les dénominations passant d’une langue à l’autre. Ensuite, les démarches adoptées par chaque langue pour traduire les définitions pour la plupart encyclopédiques de la version originale du Glossaire sont illustrées sur la base de la classification des stratégies de traduction proposée par Vinay et Dalbernet (1968). Le calque littéral adapté traduit par transcription du modèle de la langue source (l’anglais) dans l’ordre morphosyntaxique de la langue cible (le français, l’italien et le roumain) s’avère être le principal procédé de formation de la terminologie employé. Ce constat démontre que la traduction technique adopte une démarche sourcière, calquée sur la terminologie anglaise, bien que la langue roumaine présente parfois une certaine préférence pour la terminologie française. En même temps, le corpus d’analyse confirme le précepte de Ladmiral (1990, 106) selon lequel la traduction technique est cibliste par nature, car les exemples de transposition, modulation et adaptation mettent en évidence le respect des structures syntaxiques et de la charge culturelle propre à chacune des langues cibles considérées. La démarche méthodologique proposée par cette étude permet de confirmer la théorie de Di Spaldro, Auger et Ladouceur (2010) sur le calque technoscientifique (CTS) et se révèle utile pour la formation des futurs traducteurs car elle permet de les initier aux mécanismes cognitifs utiles à la transposition d’un message d’une langue dans une autre.

L’étude de Chiara Gagliano, Le verdissement de la presse. La néologie terminologique entre métaphore et manipulation (pp. 95-109), se propose d’analyser les échos discursifs et la terminologie émergente de la couleur verte en contexte médiatique et politique. A travers l’analyse des collocations et des néoformations relatives au vert en contexte politique dans d’un corpus collecté sur la Cop26, la Conférence des Parties réunissant les pays signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, l’auteure étudie sur le plan quantitatif et qualitatif les représentations journalistiques de la crise climatique et les positionnements discursifs de la presse généraliste française (Le Monde et Libération) et québécoise (Le Devoir et La Presse) face aux négociations politiques à l’échelle globale. L’analyse des collocations et des usages métaphoriques du « vert » dans ce corpus synchronique révèle l’actualité de la terminologie du domaine de l’écologie dans le discours journalistique et dévoile le défigement progressif du technolecte politique vers la langue générale. À travers l’exploration des collocations nominales du « vert », les occurrences du verbe « verdir » et les accusations de greenwashing dans le corpus collecté, l’auteure montre que la couleur verte, avec une histoire sémiotique ambigüe, est la couleur la plus étroitement liée au développement durable. Utilisée pour rendre la croissance économique plus « acceptable » en termes d’impacts sur l’environnement, la couleur connaît un glissement idéologique au niveau du positionnement dans le discours politique au fil du temps car ses connotations sont en train d’évoluer au niveau de la signification et de la perception par le lectorat, comme le témoigne le calque français « verdissement d’image » du terme greenwashing. Cette étude montre que le vert reste un élément essentiel dans la communication politique et journalistique de type généraliste, en vertu de sa malléabilité et de sa polysémie, bien que sa pertinence dans la représentation d’une attitude engagée soit remise de plus en plus en question dans le discours journalistique.

Dans L’univers de la blockchain : étude d’une terminologie émergente aux contours nébuleux (pp.  127-141), Claudio Grimaldi analyse les termes émergents du champ de connaissances de la chaîne de blocs à l’intérieur d’un corpus d’étude secondaire constitué de deux ressources lexico-terminographiques : le Vocabulaire de la cryptomonnaie, élaboré par l’Office québécois de la langue française (OQLF), et le Lexique de la blockchain, un glossaire réalisé par des spécialistes et rédigé par le Centre de droit bancaire et financier (CDBF) de l’Université de Genève. En basant son analyse sur un échantillon de termes, sélectionnés en fonction de différentes facettes du phénomène néologique, telles que les matrices lexicogéniques, les caractéristiques de la néologie en terminologie, et la variation dénominative et conceptuelle, l’auteur se propose de vérifier si ces ressources officielles disponibles en ligne aident à clarifier les notions émergentes de la chaîne de blocs, et par conséquent les termes qui y sont rattachés, nés dans un environnement discursif en anglais. L’analyse des termes clés liés au domaine de la chaîne de blocs qui ont été sélectionnés par l’auteur (l’unité « chaîne de blocs » et les termes qui lui sont corrélés) s’inscrit dans le cadre théorique fixé par les travaux récents sur la néologie en terminologie, ainsi que sur ses implications sur le plan à la fois lexical et discursif. Les résultats obtenus sur ce corpus secondaire ont permis, d’une part, de vérifier l’émergence d’une terminologie de type néologique secondaire, liée au fonctionnement de la chaîne de blocs et, plus largement, des cybermonnaies et des cryptoactifs, et, d’autre part, de confirmer que les ressources lexico-terminographiques examinées s’avèrent être des sources d’informations adéquates pour comprendre les notions de cette technologie et pour s’orienter au niveau linguistique, bien que dans ces ressources il n’y ait pas d’unanimité par rapport à quelques équivalents linguistiques proposés en français pour les unités terminologiques anglaises. Les résultats de cette première enquête pilote ouvrent plusieurs pistes de réflexion concernant, en premier lieu. la nécessité de constituer un corpus d’étude primaire afin de situer cette terminologie dans son environnement discursif , ainsi que la possibilité d’élargir l’enquête à d’autres unités terminologiques du domaine de la chaîne de blocs et de suivre l’évolution des néologismes et l’implantation de ces termes signalés comme recommandés officiellement. L’opportunité de pousser plus loin l’analyse de la terminologie émergente de la blockchain dans les discours de spécialité et de vulgarisation et d’explorer d’autres domaines de connaissances en expansion liés à cette technologie, est également envisagée de manière à aboutir à une modélisation de la néologie en terminologie concernant la blockchain et ses les applications.

En partant du constat que le lexique gastronomique du roumain est en grande partie étroitement lié aux traductions et aux emprunts lexicaux d’autres cuisines, dans son étude La terminologie gastronomique d’origine slave en roumain (pp.  193-207), Carolina Popușoi analyse la terminologie gastronomique relative aux noms de plats/ préparations (salés ou sucrés) d’origine slave et néoslave pénétrés en roumain à la suite du contact direct du roumain avec les langues slaves durant des siècles. L’auteure dresse un inventaire des lexèmes substantivaux / nominaux qui ont été intégrés à la langue roumaine à différentes époques par la voie livresque et par la voie populaire, à partir du lexique slave plus ancien et du paléoslave, jusqu’au lexique emprunté aux langues slaves anciennes et aux langues néoslaves, et au lexique slave récent pénétré par voie orale et, plus récemment, par l’intermédiaire de l’internet, où la thématique gastronomique abonde. En prenant en compte plusieurs langues slaves (vieux slavon, bulgare, ukrainien, russe, biélorusse, serbe et polonais), l’auteure illustre les adaptations graphiques, phonétiques et morphologiques qui sont survenues dans le passage d’une langue à l’autre et qui ne sont pas attestées dans les dictionnaires pour les emprunts les plus récents, tout en mettant en relief l’intérêt de cette étude pour les traducteurs et les professionnels de ce domaine.

La contribution de Silvia Domenica Zollo, Lexiques et corpus au service de la littératie océanique : propriétés et relations lexicales (pp.  227-252), qui s’insère dans le cadre du projet de recherche Littératie océanique : observations linguistiques, données terminologiques et modélisations lexicographiques basées sur corpus (français-italien) de l’Université de Naples Parthenope, se propose de montrer qu’il est possible de combiner l’approche conceptuelle et l’approche lexico-sémantique, pour l’étude du lexique de la faune marine. L’auteure présente les premières phases de réalisation de ce projet qui vise à promouvoir la constitution et le traitement d’un corpus spécialisé bilingue (français-italien) de taille moyenne du domaine de la faune marine, et à réaliser une ressource lexicographique (ZooTerm) décrivant la grande variété des relations sémantico-lexicales entre les unités terminologiques (UT) du domaine en question à l’aide d’une expérimentation basée sur le cadre théorique de la Lexicologie explicative et combinatoire (LEC). Il s’agit d’une recherche qui a pour but de valoriser le patrimoine naturel marin à travers la création de ressources linguistiques multilingues, conçues pour la vulgarisation des savoirs scientifiques et pour la promotion du patrimoine naturel marin, ainsi que des pratiques liées à la sauvegarde de la faune marine. Après avoir décrit les choix méthodologiques et théoriques pour la constitution et le traitement du corpus ZooCor, l’auteure analyse un échantillon de termes candidats issus d’une extraction semi-automatique réalisée via le logiciel TermoStat, détaille l’architecture générale de ZooTerm et explique, au moyen d’un modèle de fiche terminographique et par des exemples concrets, la méthodologie adoptée fondée sur l’utilisation des fonctions lexicales  pour encoder les liens entre les termes associés au domaine de la faune marine. Ce travail exploratoire, qui permet d’expliciter les différences d’encodage entre l’approche terminologique et l’approche lexicographique, pose plusieurs questions théoriques sur l’articulation entre les classes de termes de la faune marine, leur nature compositionnelle / non compositionnelle et sur la modélisation des relations actancielles et circonstancielles. Certaines problématiques sont mises en évidence comme la variabilité des définitions des noms des espèces marines et des activités liées à leur conservation qui dépendent de la culture et du lieu, le flou terminologique qui a pu être dépassé grâce à la confrontation avec les experts du domaine, et la nécessité d’adopter la perspective du locuteur et d’insister sur l’importance de la communauté discursive. Cette étude ouvre plusieurs pistes de réflexion inédites portant sur l’efficacité des relations sémantico-lexicales entre les termes d’un domaine pour mieux interpréter les liens paradigmatiques et syntagmatiques ainsi que sur la validité de cette approche pour des projets terminographiques émergents.

[Valeria ZOTTI]