Mariadomenica LO NOSTRO, Rosaria MINERVINI (a cura di), Il potere in-/es-cludente della lingua, Paris/Alberobello, L’Harmattan/AGA Editrice (collana “L’Orizzonte”, n° 263), 2024, 268 pp.
Il potere in-/es-cludente della lingua, sous la direction de Mariadomenica LO NOSTRO et Rosaria MINERVINI, constitue le dernier volume de Il Potere della Lingua, qui se compose à ce jour de quatre ouvrages, tous consacrés aux multiples répercussions des usages de la langue dans la vie sociale. Le premier volume, Il Potere della Lingua. Politica, letteratura, media, a inauguré cette réflexion en 2020, suivi en 2021 par le deuxième volume consacré à Il Potere della Lingua. Comunicazione, narrazione, manipolazione, tous deux parus chez Editorial Comares. Le troisième volume, Il Potere della Lingua. Argomentazione, propaganda, persuasione, a quant à lui été publié en 2022 chez L’Harmattan/Aga Editrice, tout comme ce quatrième volume paru en 2024. Il potere in-/es-cludente della lingua s’inscrit dans la continuité des trois précédents volumes et, comme le précisent les directrices de l’ouvrage dans la préface, il poursuit la réflexion interdisciplinaire et plurilinguistique à travers une approche qui prend en compte plusieurs perspectives, en rassemblant des études rédigées dans différentes langues. Il s’agit en l’occurrence de dix articles, dont cinq en français, quatre en espagnol et un en italien.
L’ouvrage s’ouvre sur la préface écrite en italien par les directrices (pp. 7-15), où elles mettent en évidence le fil conducteur qui unit les volumes de Il Potere della Lingua, avant de présenter l’intérêt du sujet abordé par les contributions de ce quatrième volume : la question de l’inclusion et de l’exclusion à travers les pratiques discursives, ainsi que leurs effets sur la société. LO NOSTRO et MINERVINI soulignent les enjeux liés à la complexité du concept d’inclusion linguistique, qu’ils soient soulevés dans des contextes spécialisés ou dans le débat public. Tout en reconnaissant le rôle majeur joué par les questions de genre dans la réflexion sur la langue comme moyen d’inclusion, elles mettent également en relief le fait que l’inclusion linguistique concerne aussi diverses catégories sociales. C’est à travers différents contextes que les dix contributions du volume participent à l’analyse de la nature multiforme de ce concept. Il convient toutefois de préciser que ce compte-rendu de lecture porte uniquement sur les cinq contributions rédigées en français.
Dans « Le langage inclusif au défi du français » (pp.17-30), Patrick CHARAUDEAU s’intéresse aux enjeux posés par des propositions d’écriture inclusive à la lumière de la complexité morphologique et syntaxique propre à la langue française. Après avoir rappelé les divers niveaux de l’appréhension linguistique – de la nature systémique de la langue, à sa dimension sociale et normative, jusqu’à son usage en discours –, l’auteur dresse un aperçu historique des événements saillants pour la grammaire de la langue française, soulignant ses dimensions identitaire et politique. L’article de Charaudeau examine ensuite trois propositions d’écriture inclusive : l’ajout de suffixes aux mots épicènes pour rendre la marque du féminin visible au niveau formel, les diverses formes de marquage du genre féminin dans les cas d’accord et de reprise avec des mots qui comportent les deux genres, ainsi que le recours au point médian. Son analyse montre les répercussions que ces propositions peuvent avoir, selon les cas, en ce qui concerne en particulier l’intercompréhension et la réalisation à l’oral de ces formes. Charaudeau met enfin en évidence le rôle du contexte dans l’emploi de la langue, qui « en tant que système, n’est pas sexiste » (p. 29), ainsi que la primauté de l’usage dans la création et la stabilisation d’unités linguistiques et de procédés morpho-syntaxiques nouveaux.
La contribution de François GAUDIN, « Mots contre mots, le pouvoir de s’opposer » (pp. 83-100), étudie le pouvoir des mots à partir des descriptions qui en sont proposées dans les dictionnaires. L’auteur met en valeur le rôle de ces derniers comme moyen d’accès aux oppositions qui traversent la société et qui se reflètent dans la langue. À travers une approche articulant des perspectives historique, sociolinguistique et métalexicographique, Gaudin illustre tout d’abord des exemples de définitions lexicographiques du XIXe siècle qu’il désigne comme « partisanes » en raison de la position idéologique qu’elles laissent transparaître. Il approfondit ensuite les cas des dictionnaires de Michel-Auguste Peigné et de Maurice Lachâtre, qui leur ont valu d’être poursuivis par la justice. Concernant le dictionnaire de Peigné, Gaudin remarque sa tendance à utiliser des « techniques d’évitement » (p. 89) afin de ne pas expliciter les traits religieux propres à certaines définitions. L’étude des dictionnaires encyclopédiques de Lachâtre, en particulier de son Dictionnaire universel, révèle en revanche la présence de descriptions qui ciblent le pouvoir clérical et celui du Second Empire, mais aussi d’autres qui défendent des idées féministes et anti-esclavagistes. La contribution de Gaudin met ainsi en lumière la nature politique de ces dictionnaires, que l’auteur considère comme des « ouvrages de combat » (p. 96) pour l’époque.
Les dictionnaires sont également l’objet de l’article de Mariadomenica LO NOSTRO, qui analyse leur contribution à la compréhension et à l’apprentissage du langage inclusif. Dans « L’inclusion de qui par rapport à quoi ? Traitement du langage inclusif dans les dictionnaires. Une perspective sociolexicographique » (pp. 101-121), Lo Nostro souligne la nature socioculturelle et politique des transformations et des procédés liés au langage inclusif qui, tout en accordant une place centrale aux questions de genre, devrait éviter « toute forme de discrimination, de préjugé ou de stéréotype » (p. 103). L’auteure s’interroge sur l’accessibilité de ces changements linguistiques dans les dictionnaires, notamment en ce qui a trait aux avantages et aux défis engendrés par leurs versions électroniques. Après avoir rappelé comment les outils et les ressources numériques ont transformé le travail des lexicographes, l’article de Lo Nostro se penche sur les difficultés posées par l’intégration du langage inclusif dans les versions en ligne des dictionnaires, tant au niveau de la forme que du contenu. L’auteure signale la nécessité d’optimiser l’utilisation de l’espace en ligne, en fournissant des descriptions et des explications claires et accessibles des usages, dans le respect des critères de systématicité. L’objectif est de « faire preuve de neutralité et surtout d’avoir la capacité d’alerter sur l’utilisation des termes, tout en évitant la censure » (p. 112).
La contribution de Giovanni AGRESTI, Camille GUICHARD-LIBERSAC et Adilson CREPALDE – « Inclure les langues-cultures traditionnelles, un défi pour le présent et l’avenir de nos sociétés. Esquisse d’une méthode participative de travail de terrain » (pp. 123-146) – traite des enjeux et des apports du projet ALCAESC. Adoptant l’approche de la « linguistique du développement social » (p. 125), ce projet de recherche-action réunit une équipe multidisciplinaire franco-brésilienne dont l’objectif est d’étudier les cultures traditionnelles de civilisations pluriséculaires et notamment celle des Guarani du Brésil. Cette langue-culture autochtone minoritaire est abordée en tant que source d’emprunts, et plus précisément de « praxèmes » (p. 125), pouvant fournir de nouvelles clés de lecture et d’intervention sur les modes de vie contemporains, particulièrement dans leur rapport à l’environnement. Comme le soulignent les auteurs, son lexique permet de bien saisir la « constante exigence d’unité et d’équilibre » (p. 127) entre la communauté et l’environnement naturel. Après avoir illustré les thèmes ayant guidé les entretiens semi-directifs pour la collecte des données, les auteurs présentent le travail de terrain, le chronoprogramme du projet et donnent un aperçu des profils des personnes interviewées. Quatre exemples sont analysés pour mettre en relief plusieurs rapports d’équilibre condensés par le lexique guarani brésilien, qui pourrait, selon les auteurs, alimenter le contre-discours s’opposant aux visions du monde dominantes.
Enfin, dans « La réflexion métalinguistique dans le contrediscours idéologique sur le français acadien. Moncton Mantra de Gérald Leblanc » (pp. 147-163), Francesco ATTRUIA aborde le pouvoir des mots en relation avec la contribution de la littérature à la reconnaissance de la variété vernaculaire du français acadien, et notamment du chiac. Son étude se concentre sur la réflexion métalinguistique qui parcourt le seul roman du poète acadien Gérald Leblanc, Moncton Mantra, à travers les mots du protagoniste. L’analyse qualitative d’extraits sélectionnés thématiquement met en évidence un « sentiment d’infériorisation » (p. 148) témoignant de l’insécurité linguistique du protagoniste, qui est analysée par Attruia à partir des passages marqués par l’isotopie de la peur et par l’emploi de ressources affectives et axiologiques. Outre le « sentiment d’étrangeté linguistique » (p. 157) et celui de déracinement (p. 158) relevés par Attruia, son analyse de l’ouvrage de Leblanc souligne également la valorisation du chiac par l’inscription dans l’écriture littéraire des traits propres à l’oralité de cette variété. L’étude de Attruia montre finalement comment les tensions qui traversent les locuteurs d’une variété minoritaire se manifestent dans l’œuvre littéraire : si celle-ci comporte des traces des idéologies linguistiques dominantes, elle permet également d’accéder à une reconnaissance linguistique et identitaire à travers le pouvoir des mots.
[Claudia CAGNINELLI]